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LES CHANSONS
DES RUES ET DES BOIS
PAR M. VICTOR HUGO

Le nouveau recueil de poésies de M. Victor Hugo a fait subir à mon imagination une légère mésaventure qu’il m’importe avant tout de confesser. Selon l’habitude du poète, ce volume avait été annoncé depuis plusieurs années déjà, et sur ce titre charmant, les Chansons des Rues et des Bois (le génie des titres est un des dons nombreux de M. Victor Hugo), mon imagination avait fait son siége à l’avance, comme le bon abbé de Vertot. J’attribuais au nouveau recueil un tout autre caractère que celui qui le distingue. J’avais disposé à mon gré de l’inspiration du poète, et je lui avais fait choisir les formes, les sujets que préférait ma fantaisie. J’avais conçu les Chansons des Rues et des Bois comme une série d’inspirations lyriques impersonnelles où le poète, avec une émotion désintéressée et une sensibilité passive, aurait compilé, classé et corrigé les textes de ces chansons éparses au sein de la nature ou errantes dans les rues de nos villes. — J’espère, me disais-je, que nous allons avoir enfin une bonne édition des poésies de tous ces minnesinger des bois et des prairies qui ne portent pas de noms d’hommes, des ballades de tous ces rhapsodes ingénieux de nos cités qui ne portent de nom d’aucune sorte. Je voyais le poète s’avancer devant le public son livre à la main et lui dire : « Le présent recueil n’est pas de moi. Je n’y ai fait autre chose que mettre en ordre quelques-unes des plus heureuses trouvailles poétiques que ma longue