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et les échecs définitifs de la guerre des Pays-Bas marquent le terme de l’époque où il lui fut donné de figurer parmi les grandes puissances de l’Europe, et peut-être au premier rang. A partir de ce moment, son histoire est moins connue, moins éclatante ; mais pour ceux qui cherchent d’utiles enseignemens dans le spectacle des choses humaines, j’ose affirmer qu’elle offre un intérêt au moins égal. La rapide et complète décadence de ce vaste empire sous les successeurs de Charles-Quint, sa résurrection, si l’on peut ainsi parler, après l’avènement de la maison de Bourbon, et surtout sous Charles III, alors que la perte d’une grande partie de ses possessions semblait devoir l’affaiblir encore ; le caractère de cette espèce de restauration, très réelle à certains égards, mais à d’autres tellement incomplète et superficielle que vingt années d’un mauvais gouvernement sous Charles IV devaient suffire pour en effacer presque entièrement les traces ; la résistance opposée à l’usurpation de Napoléon, qui jeta sur le pays une grande gloire extérieure, mais compléta sa ruine, sa désorganisation intérieure, et y créa de funestes habitudes d’anarchie, — ces résultats déplorables aggravés encore par l’absurde et odieuse tyrannie de Ferdinand VII et par la non moins absurde révolution démocratique de 1820, si peu assortie à l’état moral de la nation ; l’intervention française rétablissant un peu d’ordre dans la Péninsule, mais au prix du retour d’un monstrueux despotisme ; puis une autre révolution, accomplie avec le concours de la royauté et faisant enfin pénétrer en Espagne, à travers bien des secousses, quelques-unes des idées, quelques-uns des résultats de la civilisation européenne ; au milieu de ces reviremens et de ces catastrophes multipliées, la population conservant, dans la grande majorité, le sentiment monarchique, et surtout ses croyances, l’intolérance même du plus ardent catholicisme, à tel point qu’en 1854 une chambre très révolutionnaire a refusé d’autoriser l’exercice, même privé, des cultes dissidens : — tel est, en résumé, le tableau historique de cette étrange contrée depuis près de trois siècles. Cette histoire présente bien des traits qu’on ne trouve dans aucune autre, elle offre bien des problèmes à résoudre. Je n’en indiquerai qu’un seul. Comment se fait-il qu’un grand peuple qui a maintenu son existence indépendante et à qui l’on ne saurait contester ni le courage, ni l’énergie, ni l’intelligence, ni l’originalité du sentiment et de la pensée, n’ait pas, depuis trois cents ans, produit un grand homme d’état, un grand capitaine, ni, depuis deux cents ans, un écrivain, un artiste d’un ordre vraiment supérieur ? La réponse à ces questions, c’est l’histoire de l’Espagne soumise au contrôle de la critique moderne qui seule peut la donner.


L. DE VIEL-CASTEL.