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d’accord avec l’ultramontanisme le plus exagéré, il accuse l’église gallicane de schisme et d’inconséquence, il ne parle des gallicans qu’avec dédain, comme de gens qui n’ont ni assez de bon sens pour repousser un principe faux, ni assez de logique et de résolution pour le suivre dans toutes ses conséquences après l’avoir accepté.

Que dirait M. Rosseew Saint-Hilaire ou plutôt que dit-il, car il ne s’agit pas d’une hypothèse, mais d’un fait qui se passe journellement sous nos yeux, que dit-il lorsqu’un écrivain ou un prédicateur catholique, rappelant que le libre examen est la base du protestantisme et que chaque protestant est autorisé à interpréter les Écritures d’après ses propres lumières, en conclut que ce libre examen ne comporte pas de limites, que prétendre lui en imposer, c’est le détruire, que l’esprit humain, dès qu’on l’affranchit du joug d’une autorité suprême et décisive, doit avoir le droit de tout mettre en question, qu’il n’appartient à personne de proclamer des dogmes fondamentaux devant lesquels on soit tenu de s’arrêter, et qu’à celui même qui prétend trouver dans les livres saints la preuve que Jésus-Christ n’est qu’un homme un protestant ne saurait sans inconséquence contester la qualité de chrétien ? M. Rosseew Saint-Hilaire répond sans doute que la liberté d’interprétation admise pour son église ne peut aller jusque-là, et qu’aucun principe ne doit être poussé à bout sous peine de tomber dans l’absurde. Je suis de son avis, mais comment ne comprend-il pas que cet argument peut être invoqué, avec la même force pour le moins, par le catholique qui prétend rester tel sans être ultramontain, qui, tout en proclamant l’autorité du pape, est d’accord avec Gerson, avec Bossuet, avec tant d’autres grands esprits, pour lui poser des limites ? Comment ne voit-il pas que la méthode qui consiste à ruiner un principe par l’exagération de ses conséquences est la méthode favorite des sceptiques, ou, pour mieux dire, des pyrrhoniens, et que, le jour où la légitimité en serait admise, les plus grandes vérités courraient risque d’être bientôt réduites à l’état de problèmes ?

Cette puissance destructive d’une fausse logique est un des plus terribles écueils de l’esprit humain. Sauf tout au plus les vérités mathématiques, on peut dire qu’elle a prise sur tout, et que, si on ne la repousse pas de prime abord, rien ne peut lui échapper. C’est par de tels argumens que dans l’ordre politique les amis excessifs de la liberté transforment en partisans du despotisme ceux qui veulent qu’un gouvernement ne soit pas à la merci du premier caprice de la multitude, et que par contre les amis exclusifs de l’ordre voient un anarchiste dans quiconque ose dire qu’il peut être permis quelquefois de résister par la force aux injustices d’un pouvoir même légitime, les uns démontrent avec une apparente évidence que reconnaître à la multitude le droit d’apprécier les cas où elle peut