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pas inspirée par des vues d’ambition, à moins qu’on n’appelle ainsi le désir de s’honorer par de grands services rendus à son pays. Loin d’aspirer à devenir le maître de ceux qu’il avait sauvés, il s’opposa constamment aux projets qui furent formés pour l’appeler à la souveraineté. Il pensait sans doute qu’en restant simple serviteur de l’état, en n’éveillant aucune jalousie, il conserverait plus d’empire sur l’opinion et aurait plus de moyens d’être utile à la grande cause à laquelle il s’était dévoué. Dans l’état de faiblesse où se trouvaient les Pays-Bas, un appui étranger lui semblait d’ailleurs nécessaire, et le moyen le plus assuré d’obtenir cet appui, c’était d’offrir à quelque prince, proche parent d’un des principaux monarques de l’Europe, la couronne enlevée à Philippe II. Aussi le vit-on provoquer successivement et patronner la candidature de l’archiduc Mathias et du duc d’Anjou, ne mettant d’autres restrictions, d’autres limites au zèle avec lequel il les servait que le respect des libertés nationales, leur demandant seulement de ne pas y porter atteinte, et, par une abnégation sans exemple, s’effaçant autant qu’il dépendait de lui pour les faire valoir, pour couvrir leurs fautes, pour transporter sur eux quelque chose de sa popularité.

De toutes les grandes qualités qui distinguaient Guillaume le Taciturne et qui font de lui un homme à part entre ses contemporains, la tolérance religieuse est peut-être la plus admirable, parce que c’était alors la plus rare, la plus difficile à pratiquer, surtout dans une lutte semblable. Il fut en cela le précurseur de Henri IV, mais il ne lui fut pas donné de faire prévaloir cette tolérance, et peut-être la pratique en était-elle impossible à ceux qui avaient à combattre l’inquisition espagnole.

M. Rosseew Saint-Hilaire a fort bien retracé cette noble physionomie. Il nous montre Guillaume le Taciturne aussi irréprochable dans sa vie privée que dans sa vie publique, conservant, au milieu de tant d’agitations, le besoin des affections de famille, du bonheur domestique, et, bien que cruellement éprouvé aussi sous ce rapport, gardant jusqu’à la fin cette tendresse d’âme qu’on aime à rencontrer chez un homme voué aux froids calculs de la politique et aux préoccupations d’une lutte sans trêve et sans pitié. Le contraste d’un tel caractère avec celui des adversaires qu’il avait à combattre et qui réunissaient, qui exagéraient tous les vices de leur temps, est singulièrement frappant. L’historien, pour le faire ressortir, n’a pas besoin de recourir à la déclamation, de forcer les couleurs. Lorsqu’on parle de Philippe II et de ses principaux auxiliaires, le seul récit des faits suffit pour former le tableau le plus complet de tout ce que peuvent enfanter d’odieux, de détestable, la passion du despotisme, la haine forcenée de toute liberté, l’intolérance, la perfidie érigées en système. Il faut même rendre cette justice à M. Rosseew