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doit s’employer à en déguiser autant que possible la sécheresse ; mais il doit les raconter. C’est là une des conditions laborieuses et pénibles de l’histoire des temps modernes, appelée à peindre des sociétés et une politique si compliquées. Écrite d’une manière complète et approfondie, elle n’est peut-être pas, dans toutes ses parties, à la portée de tous les lecteurs. Ce n’est pas seulement parce que la grande histoire du président de Thou est écrite en latin que, malgré sa juste réputation, elle est si peu lue ; en français, elle ne le serait guère davantage : le fond, comme la forme, en est trop sévère. Faut-il en conclure qu’elle est inférieure à tant d’autres compositions historiques auxquelles une forme légère et superficielle assure, une vogue plus ou moins durable ? Ce serait placer les dialogues de Fontenelle sur la Pluralité des mondes au-dessus de la Mécanique céleste de Laplace.

En résumé, l’histoire doit être une image fidèle des événemens qu’elle raconte et rendre exactement l’impression qu’ils produiraient sur un spectateur intelligent, éclairé, placé assez près des passions et des préjugés du temps pour les comprendre, pour en tenir compte, mais assez dégagé de ces passions et de ces intérêts pour ne pas y subordonner ses appréciations. C’est dire qu’avec du bon sens, de la sincérité, de l’étude, alors même qu’on n’aurait pas été doué par la nature des dons de l’éloquence et de l’imagination, on peut être un historien sérieux, bien qu’incomplet, tandis qu’avec ces dons éclatans un brillant écrivain à qui manqueraient le jugement, le sentiment, l’amour de la vérité et la faculté du travail lent et patient serait parfaitement impropre à écrire l’histoire. Je ne crois pas qu’on ait beaucoup à regretter, ni pour l’utilité publique, ni pour la gloire de M. de Chateaubriand, qu’il n’ait pas donné suite à ses velléités, à ses ébauches de compositions historiques.

Les idées que je viens de développer me paraissent avoir guidé M. Rosseew Saint-Hilaire dans son Histoire d’Espagne jusqu’à la mort de Ferdinand VII. Une connaissance approfondie du sujet, une exposition lucide, le sentiment intime du bien et du mal, la volonté souvent réalisée de la plus équitable impartialité, telles sont les principales qualités qui distinguent cette grave entreprise. Un style plus soutenu, plus exempt de certains tours trop familiers, les rendraient plus saillantes encore, mais on sait combien, dans une œuvre d’aussi longue haleine, il est malaisé d’éviter complètement ces taches légères qu’un travail de révision ferait facilement disparaître. Pour justifier au reste mes réserves comme mes éloges, il n’est point nécessaire d’apprécier ici l’ensemble de cet ouvrage. Je parlerai surtout des récens volumes (le huitième et le neuvième) qui contiennent, avec le tableau des dernières années du règne de Charles-Quint, la plus grande partie du règne de Philippe II.