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rique espagnole est livrée depuis un demi-siècle ? Et, sans aller chercher si loin des exemples, ceux d’entre nous à qui leur âge a permis d’assister aux phases successives de nos longues perturbations ne se rappellent-ils pas combien la vive émotion produite par le début de chacune de ces phases, par les premières luttes auxquelles elle donnait lieu, était prompte à se transformer en un sentiment de tristesse, de fatigue, de découragement, lorsque ces luttes se renouvelaient à de courts intervalles ? L’âme humaine est ainsi faite qu’elle ne peut supporter longtemps la tension, l’exaltation où la jettent de tels spectacles. Ni l’enthousiasme ni l’admiration ne peuvent être, pour les individus non plus que pour les peuples, un état permanent. Que penser donc des historiens qui, cédant au désir de faire de l’effet ou de grandir la cause dont ils ont entrepris la glorification, nous offrent une succession de tableaux dramatiques non interrompus ? Non-seulement ils méconnaissent la nature humaine, mais, pour tracer de semblables tableaux, il faut, de toute nécessité, qu’ils dénaturent les faits.

Une autre école historique contre laquelle s’élèvent pour le moins autant d’objections, c’est ce qu’on peut appeler l’école pittoresque, celle qui, sous prétexte de donner une idée vraie et saisissante des mœurs, de l’esprit, des opinions d’un siècle ou d’une nation, accumule les anecdotes bizarres et les faits étranges en les isolant des circonstances qui souvent en expliqueraient l’apparente singularité, et transporte ainsi le lecteur dans un monde fantastique qui peut amuser la curiosité, mais dont aucun esprit sensé et réfléchi ne sera jamais dupe. C’est ainsi que certains écrivains, lorsqu’il leur convient de décrier une époque ou une nation, tracent le tableau monstrueux d’une espèce de pandœmonium, ou, lorsqu’ils sont animés d’une pensée plus bienveillante, celui d’un véritable paradis terrestre habité exclusivement par des héros et des sages. Pour arriver à de tels effets, il n’est pas même besoin de recourir à des inventions : il suffit de rapprocher, de colorer fortement les faits et les caractères qui se prêtent à de pareilles représentations et de supprimer tout ce qui peut y faire obstacle ; c’est le mensonge par prétention, mais c’est toujours un mensonge, puisqu’on donne ainsi une idée différente de la vérité.

Le vice principal de tous ces systèmes historiques, c’est d’omettre beaucoup de choses essentielles. Sans doute, en histoire, il ne faut pas tout dire, il faut laisser de côté les faits insignifians dont il n’y a aucun enseignement à tirer ; mais un choix judicieux doit présider à ces omissions. De ce que certains faits sont difficiles à exposer de manière à intéresser la grande majorité des lecteurs, il ne s’ensuit pas qu’il faille les passer sous silence, si la connaissance en est nécessaire pour bien apprécier une situation. L’art de l’historien