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connaître l’impression qu’ils ont produite sur les contemporains, et en même temps en ramener l’appréciation aux principes éternels de la vérité et de la justice. Pour ne pas dévier de ces principes, l’historien doit veiller sur lui-même, se mettre en garde contre les passions et les préventions personnelles, je ne dirai pas s’interdire l’admiration et l’indignation là où elles sont méritées, car alors ces deux sentimens ne sont que l’expression de la justice, mais bien comprendre que, par leur nature même, ils sont rarement applicables, que l’on n’est fondé à admirer et à s’indigner qu’en présence de faits et de caractères exceptionnels, en dehors, pour ainsi parler, des proportions ordinaires de la nature humaine, que de tels faits, de tels caractères ne se produisent que rarement, et que, lorsqu’on croit les rencontrer à chaque pas dans une période quelconque de l’histoire, il est à peu près évident qu’on la voit sous un faux jour. La médiocrité, le mélange du bien et du mal, sont en effet la loi commune de l’humanité, et le génie comme la stupidité, la vertu héroïque comme le vice monstrueux, sont de pures exceptions. La médiocrité est ce qui domine dans le cours des choses humaines. L’historien, pour rester dans le vrai, pour être réellement instructif, a donc à raconter bien des faits peu saillans en eux-mêmes, à peindre bien des caractères indécis, faibles, également étrangers aux grands vices et aux grandes vertus, dépourvus de talens supérieurs, mais exempts de ce degré d’imbécillité ou d’extravagance qui constitue aussi une curieuse originalité. Il est même des époques qui ne présentent pour ainsi dire autre chose que des natures moyennes et vulgaires engagées dans une série d’événement aussi vulgaires qu’elles. Et ces époques, l’historien doit les exposer dans toute leur simplicité, ne fût-ce que pour y découvrir le germe des catastrophes qui suivent d’ordinaire ces temps d’engourdissement et de stagnation. Que si, pour animer son récit, pour lui donner plus d’intérêt, il cède à la tentation de grandir de petits hommes, d’attacher à des faits mesquins une importance qu’ils n’ont pas elle et d’essayer de prouver qu’avant lui on s’est trompé sur tout cela, il pourra bien, avec un peu de talent, amuser les esprits superficiels, enclins à considérer comme de méprisables lieux communs tout ce qui a obtenu pendant un certain temps l’assentiment du genre humain ; mais ses paradoxes, repoussés dès le premier moment par les esprits sensés et pourvus d’une solide instruction, perdront tout crédit, même auprès de ceux qui les auront d’abord accueillis, dès que le temps leur aura ravi cet attrait de la nouveauté qui faisait leur seul mérite. En histoire plus encore qu’en toute autre chose, la vérité est la première condition d’un succès légitime et durable. Rien n’est plus évident, et cependant combien ce principe est peu compris de ceux même qui