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de 1814. On ne voyait, pour ainsi dire, dans l’histoire des temps antérieurs que la préparation providentielle de l’époque dans laquelle on avait eu le bonheur de naître. Telle est l’illusion un peu naïve dont on trouve l’empreinte dans la plus grande partie des écrits publiés aux approches de la révolution de 1830 ou immédiatement après cette révolution. On croyait être pour ainsi dire arrivé au cinquième et dernier acte de la tragédie, et dans cette situation commode on se considérait comme en position de résumer, d’apprécier le plan providentiel dont le mot définitif semblait enfin avoir été dit. C’était là sans doute une illusion, mais une de ces illusions puissantes, généreuses, qui donnent à l’esprit humain la force de tenter de grandes choses, d’accomplir tout ce dont il est capable. Les événemens n’ont que trop prouvé depuis qu’il fallait beaucoup en rabattre pour rester dans le vrai, et, par une de ces réactions trop ordinaires en France, on est tombé dans l’extrême opposé : dans un grand nombre de compositions historiques ou philosophiques, les nobles théories du libéralisme ont fait place à ce qui leur est peut-être le plus contraire et le plus hostile, aux théories haineuses d’une démocratie absolue, exclusive, intolérante, fort peu soucieuse de la liberté. Grâce à Dieu cependant, après plus de quarante années, les illustres écrivains dont je parlais tout à l’heure existent encore presque tous, et on a vu ce phénomène, sans exemple, je crois, que lorsqu’une révolution est venue ravir à plusieurs d’entre eux le pouvoir qu’une autre révolution leur avait donné, lorsque, ne pouvant plus servir leur pays par l’action ou par la parole, ils ont repris des travaux littéraires interrompus si longtemps par les exigences de la vie politique, ils se sont trouvés n’avoir rien perdu des grandes facultés qui leur avaient jadis conquis un si haut rang.

A côté d’eux, ou, pour mieux dire, après eux, la génération actuelle a vu se former d’autres historiens dont quelques-uns ne sont pas indignes de marcher sur leurs traces. Dieu me garde de vouloir fixer d’avance les rangs que le temps finira par leur assigner ; mais, sans entrer à leur égard dans une appréciation détaillée, sans les comprendre tous, à beaucoup près, dans le jugement sévère que je vais exprimer, je crois devoir expliquer ce qui me fait craindre que le genre historique, si brillant encore dans les survivans de la génération précédente et même dans quelques-uns de leurs élèves, ne soit pourtant déjà en voie de décadence.

L’histoire est un art sans doute, mais c’est aussi, c’est surtout une science. Elle a des règles absolues auxquelles on ne manque pas impunément. Elle doit avant tout, par des procédés variables, mais tous tendant au même but, présenter les faits, non-seulement dans leur vérité matérielle, mais dans leur exacte proportion ; faire