Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/1030

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fluence féconde, tant dans l’ordre politique et social que dans l’ordre purement intellectuel, c’est alors qu’on vit surgir presque simultanément les hommes éminens qui devaient renouveler en quelque sorte l’histoire. Entre leurs mains, elle ne fut plus, comme elle avait été trop longtemps parmi nous, soit un texte de déclamation, soit un objet d’amusement et de distraction frivole ; elle devint un grand enseignement. L’art de raconter avec clarté et agrément ne fut plus le seul talent exigé de ceux qui s’y appliquaient ; il fallait encore un jugement sain, de la sagacité, la connaissance du cœur humain, une certaine science, au moins théorique, des affaires, de la législation et de l’économie politique. Il ne suffit plus, pour s’aventurer sur ce terrain, de recueillir, dans un petit nombre de livres consacrés par l’opinion, des notions admises sans contrôle. On exigea de l’historien, sinon toujours des faits nouveaux, au moins une appréciation éclairée et l’explication, la saine intelligence de ceux qui étaient déjà connus ; on lui demanda de remonter aux sources, seul moyen de s’imprégner de ce qu’on appelle la couleur locale, c’est-à-dire de bien comprendre et de bien exprimer les époques dont on veut tracer le tableau.

Une circonstance remarquable, et qui montre quelle était alors la richesse, la fécondité du mouvement intellectuel, c’est la diversité des tendances, des tours d’esprit, des procédés de ces illustres écrivains. On aurait pu dire que chacun d’eux fondait une école particulière qui n’avait de commun avec les autres que l’éminence du talent, l’étendue du savoir et l’élévation de l’esprit. Dans l’un, le trait caractéristique était un point de vue philosophique rattachant tous les effets à des causes générales et s’efforçant de faire découler de certains principes toute la série des événemens. Dans un autre, l’esprit politique dominait avec la forme sévère, la précision, le dédain des détails minutieux qui en sont l’accompagnement habituel. Dans un autre encore, le charme, la clarté des récits, la vivacité des tableaux, entraînaient le lecteur. Aucun d’entre eux ne saurait être considéré comme l’élève, comme l’imitateur de l’un de ses rivaux ; tous avaient leur originalité, leur caractère propre et bien distinct. Si l’on voulait pourtant chercher le point par lequel ils se ressemblaient en général, par lequel ils tenaient à leur temps, c’est, malgré des nuances bien marquées, le libéralisme de leurs opinions, c’est la confiance qu’ils y portaient et que doit difficilement comprendre la génération sceptique qui leur a succédé. Chacun croyait à la liberté, aux progrès de la civilisation, chacun pensait que la France était arrivée à une époque de lumières et d’améliorations dont il ne s’agissait plus que de recueillir et de compléter les bienfaits, et nul n’aurait supposé qu’il fût possible de ravir à la nation les conquêtes de 1789, consacrées par la charte