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a été permis de puiser. Il n’est pas prouvé que les grands historiens de l’antiquité en aient eu à leur disposition de beaucoup plus abondantes, et bien leur a pris d’être pour la plupart des peintres incomparables ou des moralistes éloquens ils ont pu, à force de talent, dissimuler ce qui manque à leurs chefs-d’œuvre. Des artistes médiocres et réduits à dire platement ce qu’ils savaient et à n’en pas savoir plus qu’ils n’en disaient n’auraient laissé souvent que des récits arbitraires ou superficiels, pleins de lacunes et d’obscurités, qui n’auraient ni mérité ni captivé la confiance. Voyez, dans les mains généralement inhabiles des modernes, ce qu’est devenu pendant bien des années l’art historique. Ces hommes de lettres de profession, qui jadis entreprenaient la narration des événemens politiques, n’ayant pas et ne pouvant acquérir une connaissance exacte de ce qu’ils voulaient raconter, tâchaient de se trouver les qualités d’imagination et de style qui pouvaient y suppléer. Forcés de s’en tenir à l’extérieur des choses, ils cherchaient l’intérêt à défaut de la vérité, car l’intérêt c’est le talent qui le donne, tandis que la vérité c’est le savoir. Or, à tout prendre, ils doutaient moins de leur talent que de leur savoir.

Le savoir, en effet, ne dépend pas toujours de nous; il faut avoir où le prendre, et nous ne créons pas à volonté les matériaux dont nous construisons l’édifice. Ce sont ces matériaux qui ont trop souvent fait défaut; il a fallu bâtir en l’air ou former d’élémens imaginaires un simulacre de réalité. Aussi, lorsque de nouvelles sources sont découvertes, lorsque des mémoires inédits, des pièces ignorées paraissent au jour, quel nouvel aspect prennent les événemens les plus connus! Comme il devient nécessaire de récrire une histoire mainte fois écrite! J’ignore si c’est une impression qui me soit particulière, mais je ne puis lire les ouvrages des historiens du second ou du troisième ordre des temps antérieurs au nôtre, sans entrer en doute sur la vraisemblance même de leur récit et sans me demander s’il est possible que les choses se soient passées comme ils le disent.

C’est qu’effectivement il n’est pas aisé de savoir comment se sont passées les choses. Les personnages historiques ne dressent pas procès-verbal de leurs actions. Leur vie ne se déroule pas en présence d’un sténographe qui prenne note de toutes leurs paroles, ni d’un photographe qui reproduise tous leurs gestes. La sphère du gouvernement se meut au-dessus de nos têtes, et nos yeux rarement y pénètrent. Lors même que les affaires publiques deviennent réellement publiques, qu’elles se décident en plein champ ou en plein forum, les hommes préparent leur rôle dans l’ombre; ils ne donnent pas les motifs de leurs déterminations. L’exécution des moindres