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D’ALEMBERT
SA VIE ET SES TRAVAUX


I.

Leibnitz, dit-on, ne faisait cas de la science que parce qu’elle lui donnait le droit d’être écouté quand il parlait de philosophie et de religion. L’idée certes est généreuse et digne de son grand esprit ; mais, si tous ceux qui abordent ces hautes questions devaient commencer par être des Leibnitz, ils deviendraient singulièrement rares. Quelque haut d’ailleurs qu’ils fussent placés, leurs discours, éloquens ou vulgaires, orthodoxes ou hérétiques, vaudraient seulement par eux-mêmes et nullement par le nom de l’auteur. Les plus illustres sur ce terrain sont les égaux des plus humbles, et l’autorité d’un grand homme n’y peut être acceptée dans aucune mesure. Que les luthériens ne triomphent donc pas pour avoir compté dans leurs rangs Leibnitz et Kepler, car les catholiques leur opposeraient Descartes et Pascal, et, si ces grands hommes se sont hautement déclarés chrétiens, on pourrait, parmi les penseurs les plus libres et les sceptiques les plus hardis, citer des génies de même ordre, au premier rang desquels se place sans contredit d’Alembert.

Jean Lerond d’Alembert, né à Paris le 16 novembre 1717, fut, on le sait, exposé immédiatement après sa naissance sur les marches de l’église Saint-Jean-Lerond, située près de Notre-Dame. Le commissaire de police du quartier, touché de sa chétive apparence, n’osa pas l’envoyer aux enfans trouvés, et le confia à une pauvre et honnête vitrière par laquelle il fut bientôt adopté complètement. Sans se faire connaître, le père de d’Alembert lui assura une pension de 1,200 livres, qui, en apportant un peu d’aisance dans la maison de