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emblèmes des nobles guerriers, le bruit singulier des conques marines servant de signal d’attaque ou de ralliement. Nous venions de voir défiler sous nos yeux, pendant ces quelques heures, comme une évocation du moyen âge avec sa chevalerie et ses tournois.

Un fâcheux événement ne tarda pas cependant à jeter la tristesse au milieu de cette période de tranquillité. Le 21 novembre, deux officiers de l’armée anglaise, le major Baldwin et le lieutenant Bird, du 20e régiment de ligne, se promenant à cheval dans les environs du temple de Kama-Koura, à six lieues de Yokohama, tombaient sous le sabre d’assassins inconnus. Le châtiment toutefois ne se fit pas longtemps attendre ; le principal auteur du crime, le lonine Shimidzo-Séidgi, découvert et arrêté trois semaines après l’événement, subit le dernier supplice à Yokohama, en présence des troupes anglaises formées en carré sur le lieu de l’exécution. Son attitude fanatique et ses dernières paroles ne purent laisser de doute sur son identité[1]. Huit jours auparavant, deux affiliés d’une bande dont le lonine Shimidzo était le chef avaient, également eu la tête tranchée. Cette expiation publique et solennelle ne put laisser de doutes sur la non-complicité et le tardif bon vouloir des autorités japonaises ; suivant leur dire, ce triste événement ne fut, politiquement parlant, « qu’un léger nuage dans un ciel serein. »

Il semble difficile tout d’abord, au milieu d’une succession de crises intérieures aussi rapide que celle dont le Japon vient d’être le théâtre, de reconnaître s’il y a eu progrès dans les relations des étrangers avec ce pays. Ce progrès est néanmoins incontestable, et malgré quelques regrettables collisions il s’est principalement produit dans les deux dernières années ; disons-le tout de suite, il faut l’attribuer au bon accord des nations étrangères devant l’attitude hostile du Japon. La communauté de vues et d’action qui sortit en 1863 du danger et de l’intérêt communs devait, plus que toute autre mesure, imposer au gouvernement japonais un plus grand respect de notre force et détruire ses projets de résistance. Les agens de la France, ainsi que l’a fait voir ce récit, ont pris une part importante aux opérations, soit diplomatiques, soit militaires, qui ont amené ce nouvel ordre de choses. C’est à le maintenir qu’ils doivent désormais s’appliquer. Que les nations étrangères abandonnent toute idée de conquête au Japon, qu’elles consentent à y être admises sur le grand pied d’égalité consacré par les traités de 1858, et l’on pourra voir ce curieux peuple s’assimiler peu à peu l’esprit de l’Occident. Sur cette assimilation et la façon dont elle

  1. La veille de l’exécution, le condamné fut promené à cheval dans les différens quartiers de Yokohama. Sa tête resta exposée, pendant trois jours, à la principale porte de la ville.