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en personne, s’excusait sur les ordres formels du mikado, qui le consignaient dans sa demeure comme accusé de révolte contre l’autorité impériale ; il ajoutait que son fils, Nagato-no-kami, était du côté de Kioto, travaillant à conjurer les malheurs suspendus sur sa famille. A part la façon dont étaient présentés les faits, l’assertion du prince s’accordait avec des nouvelles parvenues à Yokohama le jour même de notre départ pour la Mer-Intérieure. Les deux karos du prince, qui vinrent en son nom à Simonoseki, accompagnés d’une suite nombreuse d’officiers, furent agréés comme ses fondés de pouvoir. L’examen minutieux qu’ils firent des bâtimens amiraux et de leur artillerie parut les affermir dans leur résolution de mettre fin à toute résistance ; ils se retiraient après avoir acquis la certitude qu’en dépit de leurs efforts la supériorité resterait toujours à nos engins de guerre.

Les bâtimens anglais appareillèrent le 19 septembre et prirent la route de la Mer-Intérieure. Un navire de commerce affrété en Chine à destination de notre division était arrivé à Simonoseki, chargé de charbon et de vivres. Ayant donc pu compléter nos approvisionnemens, nous appareillâmes le 20, laissant au mouillage du détroit le Tancrède, en compagnie de la Barossa et d’une corvette hollandaise. Ayant pris la route de la Mer-Intérieure à la suite des divisions anglaise et hollandaise, nous les trouvâmes le lendemain au mouillage de Marougamé. Sur une colline boisée, les murailles et les hautes tours d’un château de daïmio[1] s’élevaient en étages jusqu’au sommet, à demi cachées sous les bois, une petite ville groupée contre la base de la colline, comme cherchant la protection de la demeure seigneuriale, achevait de donner une couleur féodale au paysage. Le vice-amiral Kuper ayant l’intention d’effectuer son retour à petites journées sans perdre de vue ses canonnières, nous poursuivîmes seuls notre route.

L’approche de la saison d’hiver, toujours mauvaise sur les côtes peu hospitalières du Japon, rendait urgent le ralliement des divisions sur Yokohama. Le 24 au soir, déjà engages entre les îles qui précèdent le golfe de Yédo, nous fûmes assaillis par un ouragan qui, après nous avoir ballottés quinze ou seize heures dans l’ignorance absolue de la position du navire, nous permit enfin, dans la journée du lendemain, de pénétrer dans la baie et de regagner notre mouillage habituel de Yokohama. Le Dupleix avait exactement passé, à quelques milles de nous, par les mêmes péripéties. Cinq jours après, les divisions anglaise et hollandaise, ayant

  1. Marougamé, sur l’île Sikok, est la résidence du daïmio Kiogokou-sanoké-no-kami.