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philosophie stoïcienne : les préférences de la société grecque au IVe siècle seraient devenues évidentes d’une autre façon dans ses répugnances. Pourquoi cette seconde partie de la démonstration a-t-elle été omise ? Nous l’ignorons. On aurait pu justifier cette omission en alléguant les difficultés réelles que présenterait une exposition régulière du stoïcisme. En effet, l’épicurisme est connu : outre de nombreux fragmens de cette doctrine partout répandus dans les auteurs anciens, outre le poème de Lucrèce, qui en est la reproduction, Diogène de Laërce nous en a conservé la presque totalité dans trois lettres d’Épicure et dans une série de maximes appelées les axiomes fondamentaux. Au contraire, l’on n’a du stoïcisme que des bribes éparses. Tous les ouvrages des premiers stoïciens ont péri. Parmi les morceaux qui ont échappé au temps, il est souvent malaisé de discerner la part respective de Zenon, de Cléanthe et de Chrysippe. Aucun des plus récens historiens du portique, aucun des plus éminens n’oserait se flatter de pouvoir dire au juste ce qui revient en propre à chacun de ces ancêtres de Sénèque et de Marc-Aurèle, et, à ce point de vue du moins, la question du stoïcisme est encore ouverte ; D’un autre côté, la société grecque, à l’époque où le stoïcisme, enfin constitué par Chrysippe, aurait pu la pénétrer, se dérobe à toute investigation précise. On n’a pas de Sénèque grec, ayant écrit au milieu du IIIe siècle ou auparavant, de ces lettres à un ami où se seraient révélées les intimes pensées d’une âme stoïcienne tantôt travaillant à s’affermir elle-même, tantôt s’efforçant, selon l’heureuse expression d’un ingénieux critique, de remplir le rôle nouveau de directeur de conscience. Ce n’est donc qu’avec des précautions et des réserves infinies que l’on serait admis à indiquer par à peu près l’influence qui avait le plus contribué à produire ou à seconder le stoïcisme et celle qu’il exerça.

Toutefois, en gardant une scrupuleuse mesure, en n’allant pas au-delà de ce qu’apprennent les faits connus, il ne serait pas impossible de hasarder quelques affirmations et même quelques conjectures, sauf à les donner comme telles. L’idée prédominante, originale du stoïcisme, c’est celle de l’action. Les socratiques avaient principalement expliqué le monde par l’intelligence ; les stoïciens rapportent tout à l’action. Ils l’appellent, il est vrai, raison suprême ; mais cette raison est essentiellement à leurs yeux une force active. Ils disaient que le but de la vie c’est l’action conforme à la nature, c’est-à-dire à la raison. Ils tenaient que la passion, relâchement de la force active, est pernicieuse, mauvaise, et qu’il la faut combattre sans pitié ni relâche. Ils enseignaient cela a une nation dont les plus puissans génies avaient fait à la passion sa part et n’avaient voulu que l’épurer et la gouverner. À cette nation qui