Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/950

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les restes d’énergie qui subsistaient encore et de les employer à relever les esprits et les caractères, il recueillit toutes les débilités intellectuelles et morales, et en composa un modèle qui n’était que l’idéal de la décrépitude. Il ne sut ni expliquer, ni transformer, ni combattre victorieusement le polythéisme. « Il ne fut point athée, » dit M. Gebhart ; il ne l’était pas dans la forme ; au fond et en réalité, il l’était trop. Un autre écrivain a regretté les déguisemens de son athéisme, lequel, plus franc et plus déclaré, eût été, à ce qu’on prétend, une arme puissante contre les folies de la superstition. L’histoire, bien consultée, montrerait au contraire que, lorsque l’athéisme refoule la superstition d’un côté, elle reparaît aussitôt d’un autre, plus insensée et plus violente. Le sentiment religieux est indestructible ; mieux vaut l’épurer et le diriger par un théisme raisonnable, comme l’avaient tenté Socrate et Platon, que de s’épuiser vainement à l’anéantir. Épicure est donc bien difficile à défendre. On ne l’excuse pas en plaidant en sa faveur cette circonstance atténuante, qu’il fut un effet et non une cause, qu’il glissa en philosophe sur la pente où Praxitèle s’était laissé aller en artiste, et que son rôle lui était imposé fatalement par le malheur des temps. Les effets de ce genre ne tardent pas à devenir des causes agissantes, et quand ces causes sont des hommes, elles sont responsables de ce qu’elles font. Si l’on absout Épicure au nom de la fatalité, de quel droit, au nom de quel principe louera-t-on l’attitude militante des stoïciens et leurs mâles résistances ? Ceux-ci naquirent au milieu des mêmes conditions politiques, en présence des mêmes défaillances des arts, de la poésie et des mœurs. Comment eurent-ils une morale et un idéal si différens de l’idéal et de la morale d’Épicure ? Venus au même temps, enfans de la même race, comment ont-ils, sur tant de points essentiels, démenti leur race et leur temps ? N’y a-t-il pas là contre la théorie absolue des milieux une objection considérable ? C’est ce qu’il reste à examiner.

Les affinités qui existèrent entre la société, la poésie et les arts — et la doctrine morale d’Épicure — sont frappantes. On les avait remarquées avant M. Gebhart. Le mérite de ce jeune savant est d’en avoir fourni la preuve historique en réunissant et en groupant des faits qui aboutissent naturellement aux conclusions qu’il en a tirées. S’il n’a pas assez appuyé sur les théories particulières d’Épicure, et s’il nous a ainsi provoqué à en parler plus longuement que lui, si la fin de son travail est une esquisse plutôt qu’un tableau, les traits généraux en demeurent cependant vrais et curieux.

Sa démonstration toutefois appelait une contre-épreuve. Aux destinées heureuses et facilement poursuivies de l’épicurisme, il eût été utile d’opposer le sort très différent que subit la