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la constitution, savez-vous quelles sont les formalités requises pour l’amender ? Il faut que les deux chambres du congrès fédéral votent l’amendement à la majorité des deux tiers, puis que les trois quarts des états le ratifient dans leurs législatures séparées, ou bien la législature d’un état propose elle-même l’amendement, qui est alors discuté et voté par une convention nationale extraordinaire. Il semble que les fondateurs de la constitution aient voulu la mettre à l’abri comme l’arche sainte, et lui donner autant que possible le caractère de l’immobilité. Ils ont bien fait ; mais ils font bien aussi, ceux qui en temps de guerre civile savent briser la serrure de cette double enceinte et trouver des voies nouvelles, mieux appropriées aux événemens. Il serait vraiment bien commode pour l’ennemi, qui s’en est remis à la dictature, d’avoir un adversaire lié scrupuleusement à la lettre de la loi. On peut murmurer contre la conscription, mais tout homme sincère avoue qu’elle est inévitable. Ceux, qui la combattent n’agissent que dans l’intérêt du sud et pour obliger à une paix humiliante un gouvernement désarmé.

Au moment où j’écris, j’entends le bruit d’un tambour, et je vois passer dans la rue une bande de recruteurs mêlée de recrues. C’est ainsi qu’ils s’en vont tambourinant à travers la ville, cherchant à faire la boule de neige, mais n’y réussissant guère. Je crois que l’état de New-York devra recourir au tirage. Ce sera peut-être le signal d’une émeute pour les Irlandais et les démocrates.

22 juillet.

Le mécontentement paraît grandir malgré les homélies patriotiques des journaux républicains. Le Times et la Tribune exhortent les citoyens, vieux et jeunes, les femmes elles-mêmes, à grossir l’armée. S’ils sont riches, qu’ils s’y fassent représenter par un, deux ou même trois mercenaires ; s’ils sont pauvres, qu’ils se cotisent pour fournir un homme à la patrie. Ils n’est pas jusqu’aux volontaires, qui ont déjà donné leur personne, qu’on n’engage à compléter le sacrifice en donnant leur argent. Quant aux journaux démocrates, plusieurs se tiennent silencieux et réservés, n’osant combattre ouvertement la mesure et témoignant de leur sourde hostilité par une résistance de détail ; d’autres s’abandonnent à leurs vivacités habituelles. À ce propos, le général Dix, commandant le département militaire, a sommé l’attorney-general de poursuivre le Journal de Newark pour article injurieux au président des États-Unis. J’avais vu jusqu’ici la répression arbitraire, mais je ne connaissais point encore la répression légale de la presse. Cette mesure isolée contient en germe toute une révolution : elle a pour but d’invoquer la justice ordinaire contre des délits que l’arbitraire pouvait seul atteindre. Singulier pays où les législateurs laissent