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éperdument Aspasie, il n’y a pas à le nier. Toutefois l’historien qui veut juger équitablement cette liaison et la comprendre, sinon l’excuser, ne saurait oublier que cette femme célèbre, que d’ailleurs Périclès épousa et à laquelle il resta fidèle, l’avait charmé par son esprit et son. intelligence singulière des choses politiques, et que, douée de facultés éminentes, elle a mérité que des philosophes comme Socrate et Platon aient parlé d’elle en termes honorables. Ainsi dans Périclès tout est intelligence, tout vient de l’intelligence et y tend, même l’amour. C’est là une admirable figure, calme à la fois et très vivante, grave et sympathique, originale sans bizarrerie et seulement à force de raison, imposante sans orgueil, digne d’intéresser les politiques et les philosophes. M. Gebhart a eu raison d’y chercher et d’y voir la plus haute expression du génie grec au plus beau moment de son histoire. Les pages où il en a parlé sont remarquables et de la même veine que les fermes jugemens portés par l’un de ses prédécesseurs, M. Jules Girard, dans son Essai sur Thucydide.

C’est une heureuse nouveauté psychologique, à notre sens, que cette méthode qui consiste à introduire, comme élément essentiel dans l’étude d’un peuple, l’analyse du caractère et des facultés de ses hommes illustres. En appliquant ce procédé à l’histoire morale et intellectuelle des Grecs du Ve siècle, on serait amené à placer le portrait d’Alcibiade immédiatement après celui de Périclès. Une monographie d’Alcibiade, composée avec soin d’après les textes authentiques, serait une œuvre d’un sérieux intérêt. Celui qui l’écrirait aurait à résoudre plusieurs questions complexes et délicates. Si l’on compte les défauts, les vices, les crimes d’Alcibiade, cet homme fut pour son pays une honte et un fléau. D’une insolence sans pareille, il souffletait ceux qui avaient le malheur de lui déplaire ; voluptueux jusqu’au cynisme, il affichait sa vie de débauches et en tirait vanité ; corrupteur sans vergogne, il jetait au peuple l’argent à pleines mains ; blessé dans son orgueil, il se vengeait de sa patrie en la trahissant. Il a mérité qu’un de ses concitoyens dît de lui : « La Grèce n’aurait pu supporter deux Alcibiades. ». Enfin c’est dans les bras d’une courtisane, chez les barbares et par eux assassiné, qu’il a terminé son étrange carrière. Eh bien ! ce même personnage fut à diverses reprises l’enfant gâté des Athéniens. « Le peuple le désire, tout en le haïssant, et veut l’avoir, » s’écriait Aristophane dans sa comédie des Grenouilles. On applaudissait à ses folies, on supportait patiemment toutes ses fautes, on les déguisait sous les noms favorables de traits de jeunesse et d’écarts d’un bon naturel. Ce même personnage fut honoré de la vive affection de Socrate, auquel, il est vrai, il échappait toujours, mais qui s’obstina longtemps à ne point désespérer de lui. Cet homme a obtenu