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qui devint chez les Athéniens une faculté énergique et prédominante, poussa ceux-ci à dégager de mieux en mieux des choses, des formes et des notions l’élément purement rationnel et la signification métaphysique qu’elles contenaient.

C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple, que le mythe primitif d’Athéné ou Minerve se transforma entre leurs mains jusqu’à se changer en une conception admirable. Nulle part ne se trahit plus clairement l’effort d’une pensée toujours en travail qui va élevant et épurant graduellement son objet. Si nous en croyons les plus récens symbolistes allemands et français, et parmi ceux-ci MM. Guigniaut, commentant et complétant Creuzer, et M. Alfred Maury, qui a recueilli et agrandi les vues de ses devanciers, Athéné ne fut, dans l’origine, qu’une personnification féminine de l’élément humide. La preuve en est dans le nom de Tritogénie, qui veut dire née des eaux, et que lui donnaient les Minyens. « On comprend, écrit M. Maury, que la Béotie, qui avait été dans le principe un marais sans cesse inondé par les débordemens du lac Copaïs, ait rendu un culte particulier aux eaux et rapporté la personnification de l’élément humide à sa divinité suprême. Des légendes où se reconnaît l’allégorie de l’inondation et de la fertilisation des terres par les eaux constituaient la mythologie locale de ce pays. » Athéné représentait aussi l’air, qui, selon les anciens, se formait de l’eau par voie d’évaporation. Plus tard elle symbolisa l’éther, l’air lumineux et pur, et fut en conséquence considérée de proche, en proche comme l’emblème de la pureté, de la chasteté. Enfin ce pur éther, hostile aux forces physiques terrestres et ténébreuses, cette Athéné aux yeux glauques, comme l’eau qu’elle avait autrefois personnifiée, dépouille les enveloppes dont l’avait entourée un naturalisme grossier, et n’apparaît plus que sous l’aspect idéal et presque métaphysique de l’intelligence, fille du cerveau de Jupiter, née sans hymen de l’esprit même du souverain des dieux. L’on voit quelle distance sépare la Tritogénie des Minyens de la Pallas d’Athènes. Cette distance, qui est celle-là même de la matière à l’esprit ou de la force physique à la puissance de penser, le génie grec la parcourut seul, et ne fut satisfait que lorsqu’il l’eut parcourue. M. Grote a raison d’affirmer que l’Athéné-Parthénos est une conception absolument grecque. La raison grecque, parvenue à une certaine conscience d’elle-même, avait recomposé à son image la divinité élémentaire des premiers temps. Elle expliquait par des affinités intellectuelles le choix que Minerve avait fait du peuple athénien à l’époque mystérieuse où les dieux s’étaient partagé le monde. « Vulcain et Athéné, dit Platon dans le Critias, qui avaient la même nature, et comme venant du même père et comme marchant au