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commandant fédéral dans le Maryland. L’autre jour, il supprimait une feuille sudiste de Baltimore afin de la protéger contre les violences auxquelles il prévoyait que le peuple ne tarderait pas à se livrer contre elle : le prétexte est ingénieux et digne d’être inventé de l’autre côté de l’Océan.


2 octobre.

J’ai fait hier une promenade charmante sur la rivière de l’Hudson. Bien que je l’eusse déjà parcourue dans le brouillard d’un bout à l’autre, je n’avais aucune idée de ce charmant paysage : je n’ai rien vu d’aussi beau dans tout l’ouest. L’Hudson est un long estuaire, une sorte de route liquide qui s’enfonce à cent milles dans les terres, à travers un chaînon des Alleghanys. Un chemin de fer en suit tous les détours, entre New-York, bâtie sur une des îles de son embouchure, et Albany, sise à la tête de sa navigation ; mais c’est par eau qu’il faut remonter cette rivière. On dit qu’elle ressemble au Rhin. La nature y est sauvage, mais partout habitée, et les passages les plus rudes, les plus sévères, empruntent au continuel mouvement de l’homme un air de vie et de gaîté. Bien qu’attristé hier par un ciel sombre et pluvieux, l’Hudson est en habits de fête : les feuillages rouges, violets, lilas, dorés de l’automne, émaillent la verdure des rives. A gauche s’élève la longue et sourcilleuse barrière des palissades, dont le nom seul indique la structure abrupte. A droite s’étend une côte toute brillante de maisons blanches et de jardins fleuris, parsemée de bourgades industrieuses, au pied desquelles se pressent des forêts de navires. En face, les horizons bleus de montagnes ondulent à perte de vue. Tout à coup la rivière se détourne, se resserre, et entre dans un grand défilé bordé de hautes murailles : c’est ce qu’on appelle les Highlands.

Je ne puis vous dire toute la grâce et toute la sauvagerie de ce passage, les masses heurtées de la montagne, sa végétation pastorale, la noirceur des ravins, les anses retirées sous les grands arbres, les maisons de campagne isolées qui se cachent sous la verdure. Plus loin se dresse West-Point, perché sur un escarpement granitique, au bord du lac.

Le village blotti dans le ravin, au fond d’une coupe verte arrondie, l’hôtel assis sur une pile de roches massives, les côtes richement vêtues, et derrière, les montagnes debout dans leur grandeur sévère, tout cela forme un tableau charmant quand au tournant de la rivière West-Point se déroule devant vous. C’est là que je mets pied à terre. Sur le rocher s’étend un petit plateau fermé par des