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Bagdad ; l’amiral Bosse est au désespoir. — Miramon est à Mexico, maître d’une partie de la ville, s’alliant au clergé contre l’empire. Maximilien est à cheval, traqué dans la campagne. » Deuxième dépêche : « Il paraîtrait que le colonel Du Pin a repris possession de Matamoros, que Cortinas s’est enfui sans combattre, et que le colonel regrette de ne l’avoir pas pendu[1]. Mexico est tranquille, l’empereur en bonne santé, et c’est Juarès qui s’est enfui de Monterey, poursuivi par les balles françaises. » Le Herald en conclut que le Mexique est la propriété des États-Unis, mais que provisoirement les Mexicains feront bien de se rallier au gouvernement nouveau, afin d’avoir le temps de s’entendre et de se soulever plus tard contre l’étranger.

Ce Herald est un des personnages les plus curieux, les plus spirituels et les plus influens de la presse américaine. Personne ne devine encore quelle est son opinion ; à vrai dire, on ne le soupçonne pas d’en avoir une. Il ignore lui-même auquel des deux partis il appartient : il sait seulement que c’est le parti du succès. Le voilà aujourd’hui dans une grande perplexité : neutre et déclassé, boudeur, quinteux, mécontent de tous, il ne demande qu’à abdiquer son indépendance incommode pour entrer au service du plus fort. Il erre comme une âme en peine, comme un chien perdu qui n’a plus de maître, et accoste tous les passans, aboyant à l’un, flattant l’autre, disant à tous par sa pantomime : « Je suis à vendre, prenez-moi. » Tantôt il défend le président contre les calomnies du Daily News, tantôt il insinue des doutes perfides sur l’honnêteté de l’administration républicaine. Un jour il vengera Mme Lincoln contre ceux qui l’accusent d’occuper dans le cabinet de Washington le ministère des petits profits, — le lendemain il pulvérisera Greeley pour avoir dit du mal de Mac-Clellan, puis il fait une sortie furieuse contre les traîtres de Chicago. En même temps il tourmente sans relâche « notre très littéraire et très classique président » pour un mot un peu rustique qui lui est échappé. Enfin Mac-Clellan devient à son tour le but de ses ironies : il lui conseille d’étudier les campagnes de Grant, lui demande s’il n’a jamais entendu parler d’un nommé Grant. Il exploite Grant, Sherman, Sheridan, « cette glorieuse trinité, ces immenses génies » contre le « grand homme manqué » que les démocrates ont imposé au peuple. Il ne se passe pas de jour qu’il ne lui décoche avec un air bonhomme, et sous prétexte de le soutenir, quelque trait mordant et empoisonné. A le voir ainsi isolé, étranger partout, on le croirait à la recherche d’un troisième

  1. Voyez, sur la Contre-Guérilla française au Mexique et le colonel Du Pin, la Revue du 1er octobre.