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renversé qui forme un pont naturel ; je m’y promène sur la petite plage de fins cailloux lavée par les eaux, et je ne puis me lasser d’admirer ce tableau doux et gracieux. Les vallées des cantons montagneux de l’Amérique ont une beauté simple et ravissante dont je ne sais comment vous donner l’idée : rien de grand ni de terrible, pas de spectacles singuliers ni effrayans ; ce n’est ni l’Angleterre avec la monotonie de ses chênes perpétuels et de ses prairies sans bornes, ni la Suisse avec ses sapins et ses noyers, ni l’Italie avec ses oliviers grisâtres ou ses châtaigniers éclatans. C’est quelque chose de bien plus doux, de bien plus discret, de bien plus aimable. Pas un rocher sévère, pas un feuillage triste, pas un coin de terre qui ne regorge de verdure et de fleurs. La nature semble avoir mis sa plus souriante parure. La soirée est gaie, musicale, étourdissante du chœur de ces voix sauvages qui sortent des bois à l’heure où tombe la rosée. Jamais je n’ai entendu tant de millions d’insectes chanteurs ; à leur soprano aigu se mêle la basse grave et nasale d’une petite grenouille presque invisible, qui vit dans la mousse, sur les troncs humides. Dans cette saison tardive où tout chez nous semble sécher et mourir, ces forêts ont plus de vie et de joyeux murmures que nos plus belles soirées de printemps. On se croirait aux plus jeunes mois de la saison fleurie. Pas une feuille n’est tombée ; si quelques arbres çà et là prennent un reflet plus sombre, si d’autres se changent déjà en panaches roses, lilas ou dorés, d’une teinte douce et aérienne comme les nuées de l’aurore, la plupart ont gardé la tendre fraîcheur des premiers bourgeons. Je ne puis comparer ce délicieux vallon qu’à nos jardins artificiellement peuplés des arbres de ces climats. Figurez-vous les plus gros que nos plus beaux chênes, plus altiers que nos sapins les plus élancés, couvrez-en des collines entières au pied desquelles bondit une eau vive, et vous n’aurez qu’une faible idée des beautés de la Rivière-Verte.


Cincinnati, 22 septembre.

Vous savez de quel œil mécontent les Américains voient le nouvel empire du Mexique, et comment leur colère n’est pas exempte d’un peu d’hypocrisie, puisque l’intervention française leur fournit à eux-mêmes l’occasion d’intervenir en libérateurs et de faire leurs propres affaires au nom de la nationalité mexicaine outragée. D’autre part, vous savez combien les rebelles ont jeté de regards d’espérance vers l’armée française et fait au gouvernement mexicain d’avances qui n’ont pas été toujours dédaignées. En tout cas, ce que n’a pas fait un traité d’alliance, la force des choses, l’hostilité des