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esprits si éloignés de la culture de l’Occident par leur éducation, leurs habitudes et leurs penchans. Un savoir qui prouvait beaucoup d’étude et de pénétration, quoiqu’il n’ait rien produit d’original et de durable, s’éleva parmi ces anciens pâtres du désert, et lorsque, toujours sous l’influence des mêmes causes régénératrices, l’Arabe fit succéder aux guerres locales les guerres de conquêtes, et qu’envahissant l’Afrique septentrionale il porta ses armes victorieuses en Italie, en Espagne, en France même, il parut un moment disputer aux Germains, avec la possession de l’Europe occidentale, le sceptre de la civilisation future.

Par un phénomène non moins singulier, toutes ces grandes manifestations de la race arabe n’ont duré que peu de temps. En six ou sept siècles environ, la monarchie des califes, l’unité nationale, la lumière des sciences et des lettres, l’esprit de conquête, l’esprit politique, tout a décliné et bientôt disparu. Peu à peu les Arabes ont cessé de compter comme puissance, ils sont retombés graduellement dans une situation sociale comparable sous plus d’un rapport à celle de leurs ancêtres des temps bibliques. Ces sunnyites de l’Arabie-Pétrée, milice dévouée de Mahomet et d’Omar, qui ont donné leur nom aux Sarrasins (Saraceni), et par eux régné de Bagdad à Cordoue, se retrouvent presque tels qu’ils étaient il y a douze siècles, sous la tente de ces pasteurs armés qui semblent aujourd’hui si loin de pouvoir former une nation et produire un gouvernement.

Comme les Arabes sont restés fidèles à l’islam, l’on a souvent pensé que leur religion était pour beaucoup dans cette décadence. Cependant l’établissement de cette religion a été le signal de leur grandeur : elle est certainement par sa théologie et sa morale digne des peuples les plus civilisés. Peut-être exagère-t-on en général l’influence politique des religions. Naturellement toute religion se donne pour parfaite et prétend par conséquent à l’immobilité. C’est un élément social qu’on peut appeler stationnaire. C’est pour ainsi dire en dépit d’elle-même qu’une religion se transforme et se plie aux progrès et aux nouveautés. Les mahométans ont peut-être moins qu’aucune secte modifié leur croyance et leur culte ; mais cette stabilité pourrait être un effet plutôt qu’une cause. Les sociétés musulmanes ont des vices auxquels la religion n’a pas touché, mais qui ne viennent pas d’elle, l’esclavage, la polygamie, l’absolutisme endémique dans une grande portion de l’Asie. Enfin la race sémitique, ne parait avoir qu’une quantité limitée de mouvement intellectuel et moral. Il est arrivé d’ailleurs à l’islamisme un grand malheur qui a contribué à le perdre de réputation : c’est d’avoir été embrassé par ces Tartares du Turkestan qui, en servant sous les