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pour en donner une idée ont été empruntés au goût et à l’imagination des peuples qu’on voulait séduire. Oublie-t-on sous quels traits l’église s’est reconnue elle-même dans le Cantique des cantiques ?

Nous avons donc peu de chose à contester à l’admiration que le Coran inspire à M. Saint-Hilaire. On ne peut le lire sans être touché d’une morale si pure et si élevée, d’une foi si pleine et si vive dans la puissance et la bonté de Dieu, des sentimens d’humanité et de charité qui respirent dans toutes les pages. On peut trouver ailleurs des choses plus saisissantes et plus neuves, mais rarement de meilleures et de plus édifiantes. Cette absence même de recherche et d’ornement, cette calme confiance dans les vérités générales d’une religion qui ne les relève ni ne les compromet par des nouveautés particulières et surprenantes, donne une haute idée de celui qui a conçu l’espoir de remuer et de convertir le monde avec si peu. La grande originalité de Mahomet est de n’être pas un penseur original et malgré cela d’avoir créé une secte immense qui se distingue par la ferveur et l’opiniâtreté. Qu’est-ce en effet en substance que la religion de Mahomet ? Il répond lui-même : « Celle d’Abraham, qui crut en l’unité de Dieu et refusa de l’encens aux idoles. C’est la doctrine d’Ismaël, de Jacob, de Moïse, de Job, de David, des prophètes, de Jésus lui-même, le fils de Marie, l’envoyé et le verbe du Très-Haut, mais dont il ne faut pas dire qu’il soit Dieu ni fils de Dieu ; Dieu est un, il se suffit à lui-même. Abraham n’est ni juif ni chrétien ; il était orthodoxe, musulman, adorateur du vrai Dieu. Tel est le prophète et tels sont ses disciples. »

On voit que l’islamisme en soi, et considéré comme une hérésie du christianisme, ainsi qu’on l’a défini souvent, se réduirait à une sorte d’unitairianisme théorique et pratique, ou plutôt ce serait presque la religion primitive antérieure à toute révélation surnaturelle ; c’est la religion révélée la plus voisine du pur déisme qui ait jamais été enseignée au monde. Maintenant n’est-ce pas un fait historique assez digne d’étonnement qu’un homme ait aspiré et réussi à convertir et à dominer une grande nation en vertu d’une religion aussi dénuée de dogmes, de rites et de merveilleux que l’islamisme ? Avec des ressources si restreintes, il a créé un culte très étendu et très vivace, qui a déjà duré plus de douze cents ans, qui s’est peu altéré dans le cours de cette longue existence, qui règne sur près de cent millions d’hommes, qui se maintient en face de l’Europe civilisée et chrétienne, et qui n’a pas cessé de s’étendre en Afrique et en Asie. On remarque qu’aucune des sectes de l’univers, n’est aussi fidèle que la secte mahométane. L’apostasie lui est presque inconnue. On ajoute qu’au sein d’aucune religion l’incrédulité n’est aussi rare.