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un incident de ce genre. Il a plu au gouvernement anglais de mettre un terme à l’agitation irlandaise qu’entretenait l’association des fenians ; il a peut-être bien fait, mais il est probable qu’il eût pu s’abstenir sans danger de toute répression. Le trait le plus nouveau et le plus curieux de cette agitation irlandaise, c’est qu’elle a aux États-Unis les principaux élémens de son organisation. La pensée des nouveaux Phéniciens qui préparaient à l’Irlande une renaissance fantastique était de former aux États-Unis les cadres et les ressources d’une armée d’insurrection qui, traversant l’Atlantique, serait venue rendre l’indépendance à la verte Érin. L’immigration irlandaise est si nombreuse aux États-Unis qu’il est naturel que les conspirateurs aient considéré ce pays comme leur base d’opérations. Là ils avaient toute liberté de se réunir, de se concerter, de recueillir des souscriptions réelles et des enrôlemens Imaginaires. Les procédés de la liberté américaine grossissent tout. Le bruit que le fenianisme faisait aux États-Unis depuis quelques mois était sans doute plus grand que le travail réel des conspirateurs. Les immigrans irlandais ne sont pas faits d’ailleurs pour gagner à leur pays d’origine les sympathies américaines. Beaucoup d’Irlandais ont servi sans doute dans les armées des États-Unis, quelques-uns, hommes distingués qui ont été obligés de quitter l’Irlande après les événemens de 1848, ont obtenu des grades élevés dans l’armée ; mais la population irlandaise des villes, animée d’une sorte de haine contre la race noire, a montré pendant la guerre des sympathies sudistes, a pris part aux tristes émeutes de New-York, et a fait tout ce qu’il fallait pour rendre la cause de l’Irlande peu intéressante aux yeux de la masse du peuple américain. La nouvelle association était en outre réprouvée par le clergé catholique, et malgré le bruit dont elle essayait de s’entourer elle ne pouvait montrer dans ses rangs aucun homme de mérite ou de marque. Nous croyons donc que le fenianisme, même dans son foyer américain, était dépourvu de tout élément de force qui pût inquiéter l’Angleterre. En Irlande, les fenians qui correspondaient avec l’association américaine n’étaient pas plus redoutables. Ils se recrutaient dans les classes infimes de la population, étaient également brouillés avec le clergé catholique, et n’avaient pas de chefs connus. Ce qu’il y a eu de plus remarquable en eux, c’est leur hardiesse ou plutôt leur imprévoyance et leur présomption. Leur but avoué était la guerre civile ; ils essayaient de se donner une organisation militaire, et dans un pays qu’ils dépeignent comme dépouillé des plus justes libertés ils ont pu pendant plusieurs mois, sans avoir rien à démêler avec la police et la force armée, se réunir par petites escouades et faire l’exercice quelquefois dans l’intérieur des villes, à deux cents pas de distance d’un poste militaire. Cette conspiration étrange et si peu dissimulée, qui ne gagnait aucun adhérent dans les classes éclairées de la population irlandaise, ressemble à un gigantesque enfantillage. Le procès que vont subir les fenians arrêtés en Irlande montrera, nous n’en doutons point,