Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porter à ces deux chefs de l’Union leurs respects et leurs doléances. La coïncidence était remarquable. Quel journal a été, pendant la durée de la guerre civile, plus injuste, plus cruel envers le gouvernement américain que le Times anglais ? Il faut le dire à l’honneur de l’esprit libéral des magistrats démocrates de l’Union américaine et à l’honneur aussi de la presse virilement pratiquée, ni ces magistrats ni le Times lui-même n’ont gardé, en face de la révélation éblouissante des événemens, le mesquin souvenir, l’étroite rancune des polémiques passées. L’envoyé du Times a été reçu avec simplicité et cordialité par le président et le secrétaire d’état : il a été admis à les voir à l’œuvre, il a pu entendre les pensées et les paroles échangées entre eux et les hommes du sud ; il lui a été donné de comprendre ce travail de la reconstruction de l’Union, dont les principaux ressorts nous étaient inconnus à nous autres Européens. On croit sans peine a la fidélité du portrait que l’écrivain anglais trace de M. Johnson. Le président porte un double poids : il a la politique générale à diriger, il a aussi les réclamations, les suppliques personnelles à recevoir. Le travail quotidien du président et de ses conseillers est incroyable ; il n’est pas de manouvrier européen qui ait pareille fatigue physique à subir. M. Jonhson est surmené ; il a l’aspect d’un homme qui n’a de repos ni le jour ni la nuit, dévoré d’anxiété et de soucis. Sa plus grande fatigue vient des audiences. Un président des États-Unis est tout à tous ; tout le monde a le droit de l’aborder. Entre les solliciteurs et lui, il n’y a nulle barrière de factionnaires, d’agens de police, de hallebardiers et d’huissiers. Ce qui accroît la foule des visiteurs, c’est la nécessité où sont les hommes du sud de venir demander personnellement leur pardon. L’expédition seule de ces amnisties individuelles occupe pendant douze heures par jour l’attorney-general de l’Union. Cet encombrement de sollicitations provient de la clause de l’amnistie qui avait excepté du pardon toutes les personnes possédant un revenu égal ou supérieur à 20,000 dollars. Cette clause n’a point été comprise en Europe, on n’en saisissait point l’objet politique ; elle paraissait arbitraire et cruelle.

En réalité cependant, la clause d’exception ne devait produire aucune spoliation, aucun dommage contre les personnes ; elle ne devait servir qu’à assurer l’objet poursuivi par l’Union à travers la guerre civile, l’abolition de l’esclavage. Voici comment. La reconstruction de l’Union doit s’accomplir par la réintégration des états sécessionistes dans leurs droits d’états souverains en tout ce qui concerne leur gouvernement intérieur. L’esclavage a bien été aboli durant la guerre par la fameuse proclamation de M. Lincoln ; mais cette abolition, prononcée par le pouvoir central, aurait pu être attaquée devant les cours de justice locales des états reconstitués comme contraire à la constitution, qui donne aux états seuls le droit de faire les lois qui régissent leur condition intérieure. Si donc l’on eût purement et simplement reconstitué les états sans prendre aucune