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de pousser en avant cette œuvre si digne d’un peuple libre, et qui lui est si absolument nécessaire ? N’aurait-elle pas concouru aux travaux pour l’amélioration matérielle de la cité ? N’aurait-on pas vu se former en Vénétie, comme dans la Lombardie, des sociétés, anonymes et des sociétés en commandite, afin de poursuivre des entreprises d’utilité publique ? Sous un gouvernement national et libre, le mouvement commercial du port de Venise ne se serait-il pas accru comme celui des ports de Gênes et de Naples sous le régime de la liberté nationale ? Si les ennemis de l’Italie nous répondent que non, en alléguant que les Vénitiens sont trop frivoles, trop légers, trop peu unis entre eux, s’ils ajoutent que ce peuple est bon tout au plus à narguer et à embarrasser ses gouverneurs autrichiens, mais qu’il n’est nullement digne d’être libre, et qu’il est complètement incapable de se gouverner lui-même et de prospérer sous un régime libéral, il y aurait à leur répondre d’abord qu’on en disait autant des Milanais avant 1859. Or les faits et les souvenirs que je viens de résumer sur Milan montrent qu’on s’était gravement trompé. On ajouterait ensuite que pour Venise l’épreuve s’était faite même avant 1859, et il n’est pas déjà si éloigné, le temps où le monde put voir ce dont Venise indépendante était capable. De mars 1848 jusqu’en août 1849, la société vénitienne connut la liberté après avoir subi cinquante ans de domination étrangère ; quel usage en fit donc ce peuple accusé de frivolité et de mollesse ? Il commença par choisir pour chef un homme qui unissait l’intelligence politique au plus noble caractère, Daniel Manin. Son gouvernement, libéral à l’intérieur, montra en présence des difficultés extérieures autant de diligence que de dextérité. Est-il besoin de rappeler l’héroïque défense qui termina cette courte et mémorable période de l’indépendance de Venise ? Certes un peuple qui a fait de telles choses a suffisamment prouvé qu’il est digne de la liberté. S’il s’est conduit ainsi au milieu d’une révolution, après cinquante ans d’esclavage, que ne fera-t-il pas sous un gouvernement national qui lui accordera tous les bénéfices de l’ordre et de la liberté !

Mais il y a encore un fait qui prouve d’une manière éclatante que les Vénitiens sont aujourd’hui, comme par le passé, capables de faire des sacrifices pour la cause de leur patrie. Il y en a douze ou quatorze mille qui se sont exilés de la Vénétie malgré tous les efforts des autorités autrichiennes, et qui se sont enrôlés dans les rangs de l’armée italienne. En même temps l’Autriche contraint cette province de fournir son contingent à la conscription autrichienne. Ainsi la Vénétie subit une double conscription, l’une obligatoire et l’autre qu’elle s’impose volontairement pour la cause de l’Italie. Et