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dans sa mission. M. Saint-Hilaire va jusqu’à refuser de croire au succès de l’imposture en ce monde : c’est, à ce qu’il semble, pousser trop loin la réaction contre Voltaire et Montesquieu, qui voyaient la politique au berceau de toutes les religions ; ce serait flatter les hommes que de dire qu’on ne peut les tromper. La grandeur même échappe rarement au charlatanisme et ne dédaigne pas toujours de descendre à la fourberie. Est-ce dans notre siècle qu’on peut prétendre que le génie ne se soit jamais mésallié au mensonge ? Le vrai, c’est que la fausseté absolue est rare ; mais l’absolue sincérité n’est pas commune. Cromwell n’était pas tout hypocrisie, ainsi qu’on l’a dit longtemps ; mais comment prétendre qu’il ne fût pas hypocrite ? Rayons même ce dernier mot, accordons que l’hypocrisie ne se rencontre pas aussi souvent que le veulent certains incrédules ; mais la fraude pieuse se retrouve tous les jours, et ce serait beaucoup s’avancer que d’en déclarer Mahomet incapable. Il est extrêmement malaisé de distinguer dans le langage d’un révélateur où finit la pure vérité, où commence la fiction qu’il croit licite. M. Saint-Hilaire, en faisant toutes les réserves convenables, compare Mahomet à Socrate. Socrate est mort pour avoir trop dit la vérité ; cependant peut-on bien, dans son enseignement, discerner sans hésitation le sérieux et l’ironie ? Tout chef de secte ou d’école se permet au moins les artifices du langage, et de tous les artifices le style figuré est le plus usité : lorsqu’il s’en sert, quel prédicateur ou quel philosophe se croit obligé d’en avertir ? Or qui n’en avertit pas s’expose à tromper ses auditeurs. Lorsque Socrate parle du génie qui le pousse ou l’arrête, des voix qu’il entend et qui décident de ses actions, s’il parle au propre, il se vante d’une inspiration ou il s’arme d’une hallucination pour se dire inspiré ; peut-être aussi veut-il exprimer par figure cette idée plus simple, que le philosophe entretient un commerce invisible avec la Divinité, ou cette idée plus simple encore, que Dieu exerce une action directe sur notre âme, ou enfin l’idée la plus simple de toutes, que l’âme humaine est d’origine divine. Mahomet ne pouvait plonger dans sa conscience d’un regard aussi profond que le faisait Socrate. J’ignore ce qu’il pensait au fond de ses communications avec le ciel ; mais, en lui accordant qu’il croyait annoncer aux hommes le vrai Dieu et la vraie manière de l’adorer, je ne voudrais pas jurer qu’il se fît scrupule de donner à ses révélations plus de puissance en ajoutant à leur prestige. Il pouvait se croire en droit de prêter à la vérité la forme la-plus persuasive, celle qui devait le plus frapper les imaginations des hommes de l’Orient. Ils sont rares, ceux qui, pensant avoir pour eux la vérité, ne se sentent pas autorisés à mentir pour elle.

Ce qui plaide le plus pour la véracité de Mahomet, ce qui oblige