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chantèrent au piano, le fils accompagna ses sœurs sur la flûte. Le concert se termina par une distribution de tasses de chocolat toujours admirablement préparé au Mexique, où les indigènes font une immense consommation de cacao, et de grands verres d’eau glacée. Les femmes, dont plusieurs étaient jolies, bien parées, quoique ne portant pas de bas[1], couvertes de magnifiques cheveux épars sur leurs épaules, fumaient la cigarette assises en rond, et leurs petites lèvres aux dents blanches laissèrent échapper après la collation, selon l’habitude du pays, ces légers bruits du gosier que l’urbanité française condamne, mais qui sont très bien reçus par les Espagnols et les Arabes quand ils veulent faire honneur à leurs convives ou à leurs hôtes. La meilleure société de Mexico a plus tard, au contact des officiers français légèrement surpris, modifié cette coutume un peu primitive.


V

Cinq jours de repos passés à Cordova furent utiles à la contre-guérilla. Pendant ce temps, elle fit les préparatifs nécessaires pour mener à bonne fin diverses opérations projetées contre deux villes juaristes, Coscomatepec et Huatusco. En cas de succès, la tournée devait durer deux ou trois semaines. Le 25 juin, après le coucher de la lune, la colonne expéditionnaire se mit en route, forte de cent cavaliers et de cent fantassins, éclairés par la petite contre-guérilla mexicaine de Cordova du commandant Vasquez, ralliée à nos armes. Après une heure de marche, on rencontra une barranca d’une immense profondeur, mais si étroite que le son arrivait d’une berge à l’autre. Une partie de l’infanterie, baïonnette au canon, s’engagea dans les pentes rapides et sinueuses au gouffre, dont les siècles ont creusé le lit souterrain, ravagé par les eaux. La cavalerie mit pied à terre, et malgré tous les éboulemens de cailloux croulans sous les fers des chevaux, on parvint à l’autre pente, pleine de difficultés dans les escarpemens. A mi-chemin, l’infanterie se massa sans bruit ; trois quien viva (qui vive !) pleins d’angoisse furent lancés dans l’espace. Le silence seul répondit. Les fantassins grimpaient toujours. Un cri d’alerte fut poussé. Une vaste barricade dominant le défilé s’éclaira de mille lueurs, et malgré les décharges de mousqueterie plongeante, la barricade, abordée de front, fut enlevée. Les défenseurs, poursuivis pendant trois kilomètres jusqu’au village de Tomatlan, laissant bonne partie des leurs massacrés à

  1. Encore aujourd’hui beaucoup de Mexicaines appartenant à la classe moyenne (medio pelo) conservent les jambes nues ou de longs pantalons fort disgracieux flottant jusque sur la chaussure.