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Muños. A la suite d’une expédition nocturne, ils furent tous deux saisis et amenés à Medellin. Cette visite domiciliaire fit découvrir plusieurs rifles chargés à balles et une carabine rayée enlevée à notre infanterie de marine. Les deux accusés, ainsi que plusieurs de leurs camarades, servaient d’espions et de receleurs aux guérillas des ranchos voisins. Déjà plusieurs de ces espions avaient été surpris, envoyés à Vera-Cruz et mis à la disposition des autorités mexicaines. Bien entendu, une fois arrivés à Saint-Jean-d’Ulloa, ils s’échappaient, grâce au bon concours des employés, séduits par quelques gratifications. Le colonel résolut cette fois de faire un exemple sévère. Il fut donc annoncé au roulement du tambour que le 28 mars les deux Muños, convaincus de culpabilité par la cour martiale, seraient pendus à l’arbre centenaire dont le feuillage immense abrite la place de Medellin. Aussitôt les autorités de la ville et les notables vinrent protester de l’innocence des deux condamnés et demander une grâce qui leur fut poliment refusée. Le soir, ce fut le tour des dames. Un meeting émaillé de mantilles noires et de rebozos (écharpes) fièrement jetés sur de belles épaules se présenta au quartier-général : les ambassadeurs en jupons parurent trop dangereux, et la crainte de la séduction leur ferma les portes du chef français, dont la réputation de galanterie subit un rude échec.

Le 28 au matin, au milieu d’un océan de sombreros (chapeaux du pays en paille ou feutre à larges bords chamarrés d’or ou d’argent, enrichis quelquefois de perles fines), l’arbre de la place fut orné en grande pompe de deux cordes neuves. Ces sinistres préparatifs furent le signal d’une démonstration sans exemple dans le pays. Une foule de plus de quatre cents Mexicains déboucha devant la tente du colonel aux cris mille fois répétés de vive l’intervention ! vive l’empereur des Français ! vivent les Français ! Ces hurrahs formidables, auxquels venait de se résigner l’orgueil mexicain, touchèrent notre commandant, et grâce de la vie fut accordée aux deux coquins. Ils l’avaient bien gagnée, car toute la population venait de se compromettre décidément pour le nouvel ordre de choses. Aussi peu à peu le vide se fit-il à cinq ou six lieues à la ronde de Medellin, qui commença de respirer en paix par suite du pronunciamiento des afrancesados (partisans des Français). Depuis quelque temps, le contingent espagnol avait beaucoup grossi dans la contre-guérilla. Plusieurs mécontens, originaires de La Havane, regrettaient le commandement plus facile de leur ancien chef Stœklin. Un complot fut organisé : il avait pour but de massacrer dans la nuit du 6 avril tous les officiers français, de s’emparer de la caisse et de passer aux bandes ennemies avec armes et bagages. Deux