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combattans au moment du danger en un seul faisceau. C’est dans les entreprises hasardeuses, éloignées des opérations principales, que ces corps francs, habitués à savoir se suffire et se contenter de peu, révèlent toute leur valeur. La force de ces vrais satellites d’une armée est dans leur excessive mobilité de jour et de nuit. Si le danger séduit les imaginations ardentes, le métier d’avant-postes, d’éclaireurs, d’explorateurs dans les pays inconnus, dépourvus de ressources, où l’ennemi se fait insaisissable, est leur lot indiqué. L’intelligence et l’audace individuelles ont alors un vaste champ devant elles. Si un coup est manqué, l’échec subi n’est jamais complet et ne compromet en rien la réputation de l’armée.

On s’est beaucoup élevé contre la solde extraordinaire allouée aux troupes de cette nature ; mais, à bien examiner, coûtent-elles beaucoup plus cher que les corps réguliers ? Les aventuriers sont d’ordinaire doués d’une santé robuste, déjà éprouvée et soutenue par une grande énergie de caractère. La nostalgie, qui frappe si rapidement le soldat à l’étranger, les épargne. Leur mouvement perpétuel combat les germes des épidémies, les exhalaisons malsaines, meurtrières pour d’autres, et le séjour des terres chaudes, funestes même aux naturels, a donné des chiffres éloquens en faveur de la résistance du partisan à un climat meurtrier[1]. A compter le nombre des combattans sous les armes, quelle différence de pertes dans l’armée régulière ! Sous le feu, leurs instincts énergiques se centuplent à la pensée qu’ils n’ont aucun secours à attendre, et qu’il n’y a ni trêve ni merci à espérer ; necessitas est maximum telum. Aussi les imaginations sont toujours en éveil. La gaîté régnait particulièrement à ce bivouac de Medellin, où chacun racontait les scènes piquantes de ses beaux jours passés. Que de beaux rêves au coin du feu, sous des avalanches de pluie, autour de la gamelle traditionnelle pleine de punch brûlant ! Il ne faut pas oublier que les ambulances, les magasins d’habillement, de harnachement, les moyens de transport si onéreux pour l’état, étaient in.connus à la contre-guérilla, qui devait pourvoir à tout avec ses propres ressources.

A côté des jours de loisir, cette vie de bivouac avait ses jours d’émotion. Rien n’était négligé pour déjouer par une active surveillance les manœuvres de l’ennemi. A trois kilomètres de Medellin, dans une clairière reculée, au bord d’un marais, s’élevait, à l’ombre des bananiers, une case couverte de roseaux, habitée à certaines époques par deux Mexicains, le père et le fils, nommés

  1. Après quelques mois de campagne, les régimens comptaient vingt indisponibles sur cent. C’est à peine si la contre-guérilla française en a jamais compté cinq sur cent.