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tomber entre les mains d’un cavalier un sabre et un fusil qu’il reconnut pour avoir appartenu à son frère, tué deux mois auparavant dans une embuscade. Les notables, réunis par ordre, durent interroger Billegas sur la provenance de ces armes, et après une constatation publique de mensonge le condamnèrent eux-mêmes comme receleur à 500 piastres d’amende, qui furent séance tenante distribuées à la troupe.

A l’approche de la nuit, les officiers furent prévenus que le lendemain matin, au point du jour, on irait attaquer Passo-Santa-Anna ; les troupes reçurent une ration de vin et les vivres nécessaires pour le départ. Les chevaux restèrent sellés. A sept heures du soir, le curé de Tlaliscoya fut appelé et invité à désigner, parmi les cases de bambou adossées au bois, celles qui étaient reconnues comme postes de guérillas. Une quarantaine de cases devint la proie des flammes. Si les habitans de la ville avaient été sages, cet incendie pouvait leur assurer la sécurité en les délivrant de cette pression continue exercée sur eux par les fusils braqués à travers les meurtrières des cases de bambou ; mais au Mexique, depuis la chute de la vice-royauté, on était habitué à voir une bande de quarante coquins armés jeter la terreur dans une ville de cinquante mille âmes et la rançonner sans qu’aucune résistance se produisit. En janvier 1864, lorsque les forces d’Arteaga s’enfuyaient devant la petite colonne du général Bazaine, arrivant à marche forcée aux portés de Guadalajara, n’avons-nous pas entendu des Mexicaines raconter, devant leurs maris et leurs frères impassibles, que depuis trois mois elles n’osaient plus descendre de leurs maisons dans les rues de la ville, craignant d’être dépouillées de leurs bijoux en plein jour, ou entraînées à la montagne faute d’une rançon immédiatement payée ! Guadalajara est la seconde ville du Mexique, et la bande de l’assassin Rojas intimidait quatre-vingt mille âmes ! Il y avait d’ailleurs trop d’élémens d’hostilité réunis à Tlaliscoya pour que des conseils de paix pussent s’y faire entendre. Depuis la première descente des troupes alliées à Vera-Cruz, Tlaliscoya servait de centre à la réunion des mécontens et des bandits qui, sous le drapeau de l’indépendance, se livraient au pillage. Tous les notables étaient Espagnols, à l’exception d’un seul Mexicain nommé Arrechebalete. Ces dignes fonctionnaires trônaient tous dans leurs tiendas (boutiques d’épicerie et débits de liqueurs), où, à l’abri de leur nationalité. ils fournissaient aux guérillas, dont ils devenaient les receleurs et les commissionnaires en gros, des armes et des munitions de guerre. La position de Tlaliscoya, déjà très forte en tout temps, à cause des bois épais et des deux rios qui la couvrent, est plus redoutable encore pendant l’hivernage : presque tout le terrain qui,