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d’autant plus qu’il n’y avait pour le moment aucun appui à espérer de l’infanterie et du détachement de cavalerie égaré, dont on était séparé par une large rivière, sans moyens de communication. Les boutiques, qui avaient ouvert de nouveau leurs comptoirs, regorgeaient de liqueurs de toute espèce. Les officiers réunirent leurs hommes, leur révélèrent le danger de la situation en faisant appel à leur énergie. Promesse fut faite de ne boire que les liqueurs de distribution régulière. Le serment fut scrupuleusement tenu ; il y allait du salut commun. On choisit d’abord sur la rive du fleuve une maison capable, par sa construction, de résister à un assaut, et où les chevaux pourraient s’abriter dans un coral sans crainte de ces incendies qui sont une manœuvre de guerre fort en faveur parmi les Mexicains. Les notables de la ville y furent mandés poliment, ainsi que le maître de la maison, José-Maria Billegas. Ordre leur fut intimé de pourvoir sur-le-champ à une réquisition de vivres et de fourrages pour deux cents chevaux et quatre cents hommes. Ce chiffre, grossi à dessein, fit quelque impression. Une partie des notables fut retenue en otages, l’autre courut à Tlaliscoya pour assurer l’exécution des ordres. La menace de fusiller ceux qui n’obéiraient pas dans le plus bref délai eut pour premier résultat l’envoi presque immédiat de quantités considérables de maïs et de paille : les tortillas (crêpes de maïs), le pain et la viande toute cuite suivirent de près. La petite troupe française était à dessein disséminée par groupes à chaque ouverture de la maison du notable Billegas. Il importait de lui persuader qu’il aurait un grand nombre de bouches à nourrir. Hommes et chevaux firent bonne chère, la litière fut moelleuse pour tous. Le surplus des vivres, grâce à l’obscurité, fut jeté à la rivière.

Il était urgent néanmoins de se mettre en communication avec les troupes restées sur la rive gauche. Un cavalier, fort nageur[1], s’offrit pour aller porter des ordres et chercher des nouvelles. La joie fut grande quand il revint nous apprendre que le détachement égaré dans les forêts avait fini par se réunir à l’infanterie. Malheureusement le chef de cette dernière troupe n’avait pas compris ses instructions ; à la première faute d’une attaque prématurée s’était jointe une imprudence des plus graves. Au lieu de faire tirer à courts intervalles quelques coups de fusil pour tenir l’ennemi en éveil sur ses barricades, on avait exécuté des feux aussi nourris que ceux des Mexicains. Les cartouchières ne contenaient plus que quinze ou vingt cartouches. D’un moment à l’autre, on pouvait être

  1. Ce cavalier, nommé Dumont, a donné depuis trois ans mille preuves de dévouement et d’audace ; il est aujourd’hui officier dans la contre-guérilla.