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délicate, car un petit canot, creusé dans un tronc d’arbre, ne pouvait contenir que sept ou huit hommes. L’infanterie passa la première, et les plus valides furent dépêchés sans retard au pas de course pour tâcher de surprendre les bateaux de la seconde rivière. Pendant ce temps, la cavalerie hâtait à son tour son mouvement : il fallut desseller les chevaux, qui suivirent à la nage l’embarcation emportant les cavaliers.

Les hommes d’infanterie partis en éclaireurs se dérobaient sous bois, l’œil au guet, interrogeant les moindres éclaircies, cherchant à découvrir la rive de l’autre fleuve qui les séparait de Tlaliscoya. A un détour, le panorama changea brusquement. A 10 mètres au-dessous du chemin rongé par les eaux, dans un lit taillé à pic, ombragée de hautes futaies, roulait une rivière large de 120 mètres ; elle grondait au loin, grossie par les pluies de la montagne. Au bas d’une rampe, véritable escalier de chèvres, la petite baie, réservée d’ordinaire aux canots, était vide et solitaire ; le courant venait s’y briser en rejaillissant. A peine les têtes des Français eurent-elles paru au sommet de la berge escarpée, qu’elles furent accueillies par une vive fusillade partie de la rive opposée et dirigée par l’ennemi, caché derrière des barricades de balles de coton. Deux blessés tombèrent sur les feuilles mortes dont le sol était couvert. Au bruit des détonations et des clameurs des guérillas se mêlaient les cris sardoniques d’une nuée de perroquets à l’éclatant plumage, saluant le coucher du soleil et voletant à travers le feuillage aux mille nuances. Les nouveaux engagés, qui voyaient le feu pour la première fois, tiraient un peu au hasard et sans bien ajuster. Défense leur fut faite de brûler une cartouche. Quelques bons tireurs seuls, choisis et embusqués dans les touffes d’aloès, ripostèrent à l’ennemi avec précision. Les chants de triomphe cessèrent bientôt sur la rive opposée. Plusieurs partisans avaient été atteints de balles coniques qui ne pardonnent guère ; parmi eux, un cavalier à l’allure hardie, monté sur une belle jument alezane, fut renversé : une balle s’était aplatie sur la plaque de son ceinturon. A peine remis du choc, il remonta hardiment en selle ; sa monture fut tuée. Une minute après, il accourait sur un brillant étalon noir et lâchait de pied ferme son coup de carabine. La réponse à son défi fut aussi rapide que la pensée ; une balle française lui brisa l’épaule et le jeta à terre. Sa chute fut le signal de la déroute ; les embuscades les plus rapprochées de la rivière furent désertées, et beaucoup de guérilleros furent tués en traversant les éclaircies. Cet audacieux partisan qui venait de payer chèrement sa bravade était don Miguel de Cuesta, commandant en second les bandes libérales. Il survécut à sa blessure, et on le vit plus tard se rallier à l’intervention. Il faut