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voisines ne voulaient pas se défaire de leurs chevaux, de peur de se compromettre aux yeux des guérilleros, qu’ils redoutaient bien plus que les Français. Chaque cheval porte en quelque sorte son certificat d’origine imprimé sur sa cuisse par le fer du propriétaire. Il fallut déclarer aux hacenderos que, s’ils ne voulaient pas vendre leurs chevaux aux Français, on irait les prendre dans leurs habitations ou dans leurs pâturages, mais sans les payer. De cette façon, ils auraient réellement cédé à la force devant une razzia de guerre, et leur responsabilité serait à l’abri des représailles des guérillas. Cette menace, appuyée d’un exemple chez le plus gros propriétaire, suffit pour faire affluer les chevaux dans Medellin.

Les maisons de Medellin se groupent sur la rive droite du Rio-de-Jamapa, à trois lieues de Vera-Cruz. Un chemin de fer relie au port cette ville de jeux et de plaisirs, toute parfumée d’orangers. La sécurité des routes pour les joueurs favorisés de la fortune y est malheureusement moins grande qu’à Bade. Medellin est entourée de tous côtés de ces bois épais et odorans dont la végétation luxuriante annonce déjà les forêts vierges des plateaux du Chiquihuite. Sa garnison se composait alors, outre la contre-guérilla, d’une compagnie d’infanterie de marine et d’une vingtaine de fantassins du commandant mexicain Llorente. Toutes les nuits pourtant, la ville était attaquée par les guérillas, qui s’abritaient pour tirer derrière des haies de verdure. Dès que les balles venaient siffler aux oreilles des habitans, toutes les portes se fermaient, et la garnison ne bougeait pas de ses positions. Le système de guerre fut changé : on résolut de passer de la défensive à l’offensive.

Le 3 mars 1863, à la tombée de la nuit, un Espagnol, du nom de Perez Lorenzo, se présentait à la grand’garde. De grosses larmes coulaient de ses yeux ; sa figure pâle et maigre accusait la douleur. Il demanda à être reçu en particulier par le colonel. A peine introduit dans sa tente : « Veux-tu me venger ? lui dit-il. J’avais une maisonnette entourée de jardins dont je portais les fruits à Vera-Cruz et à Medellin ; j’avais une jeune femme de dix-huit ans que j’avais aimée et épousée à La Havane ; elle était enceinte de six mois. Hier, la guérilla commandée par don Juan Pablo, lieutenant des bandes de Jamapa, est entrée dans ma maison, m’a attaché à un poteau ; ils ont violé ma femme, et après lui avoir ouvert le ventre ils m’ont jeté à la face mon enfant à peine formé. Comprends-tu, colonel, pourquoi je ne me suis pas tué ? » Les larmes de l’Espagnol s’étaient taries, son regard était fixe. Lorenzo resta jusqu’à minuit enfermé avec le colonel dans sa tente ; dix minutes après sa sortie, trente cavaliers et trente fantassins attendaient des ordres en silence. Lorenzo, les mains liées derrière le dos crainte de surprise ou de