Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le siège de la ville de Puebla, il devint évident qu’une guerre de partisans, organisée par les juaristes dans les terres chaudes, allait se poursuivre à côté de la guerre régulière, et qu’elle exigerait de notre part l’emploi de moyens exceptionnels. Le terrain choisi par les bandes des partisans mexicains était un heureux point de ralliement. Les terres chaudes, le long du parcours suivi par l’armée française, étaient couvertes de bois et de broussailles favorables aux embuscades. Les ardeurs d’un climat embrasé et nouveau pour nos soldats décimaient les escortes d’infanterie et de cavalerie chargées de protéger les convois, embourbés souvent dans des chemins impraticables. Les traînards, accablés par la soif ou épuisés par la marche, étaient achevés par les guérilleros, qui bientôt massacraient les voyageurs et les femmes après les avoir cruellement outragés.

Le 14 février 1863, après avoir repoussé une attaque des lanciers rouges, éclaireurs de l’armée mexicaine descendus de la ville de Tepeaca, la division Douay campait échelonnée sur le plateau d’Anahuac. De l’autre côté de la Sierra-Malinche au front neigeux[1], la division Bazaine couvrait toutes les pentes de la route de Perote[2]. Les avant-postes des deux divisions françaises veillaient dans le silence de la nuit. Ce même soir, à vingt lieues en arrière de l’armée, sur la route de la Vera-Cruz à Puebla, il y avait bal. Les salons de M. de Saligny, ministre de France, séjournant à Orizaba, étaient en fête. Pendant les danses, le général Forey, commandant en chef de l’armée du Mexique, se détacha de son état-major et s’approcha du colonel Du Pin, récemment arrivé de France. — Colonel, lui dit-il, les terres chaudes sont infestées de bandits : nos convois sont journellement attaqués, les voyageurs sont dévalisés ou assassinés ; les communications sont trop souvent coupées. J’ai jeté les yeux sur vous pour nous débarrasser de ces brigands. Je vous donne le commandement des contre-guérillas des terres chaudes. Il s’agit d’assurer la sécurité du pays et la marche des convois de l’armée pendant que je serai occupé au siège de Puebla, que je vais entreprendre prochainement. — Le colonel Du Pin demanda au général ses instructions. On lui donnait pleins pouvoirs ; il n’avait qu’à poursuivre à outrance les bandits et à purger le pays. Le bal continuait cependant : au son des notes languissantes de la havanaise, les couples se croisaient sans cesse ; parmi les belles Mexicaines qui s’abandonnaient à l’enivrement de la valse, plusieurs eussent pâli si l’ordre tombé des lèvres du général en chef avait frappé leurs oreilles, Une contre-guérilla française venait en

  1. Pic très élevé qui se dresse en avant de Puebla.
  2. Ville située en avant de Puebla.