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n’avait pensé ni ne penserait à rien céder de sa prérogative ; par l’autre, il conjurait expressément le roi de Suède de se tenir en garde contre les Français qu’il allait trouver sur la frontière : leur légèreté et l’indiscrétion de leurs propos en faisaient autant d’espions pour l’assemblée nationale, et on le suppliait de ne rien leur communiquer de ses desseins.

L’exécution de ces desseins était concertée avec celle du projet de fuite qui devait échouer à Varennes. Gustave III était certainement instruit du plan de la cour : la lettre du baron de Breteuil le faisait déjà supposer, et nous le savons en outre par deux billets adressés par Fersen au baron de Taube pour être communiqués au roi de Suède.


« Tout ce que je vous ai dit que j’avais imaginé pour procurer le départ du roi et de la reine et un changement de la situation politique, ainsi que sur la nécessité d’un secours étranger, est devenu un projet réel à l’exécution duquel on travaille aujourd’hui. Personne n’est dans la confidence, sauf quatre Français, dont trois sont à l’étranger. Je n’en ai rien dit au roi de Suède dans ma dernière lettre, qui est en clair, parce que j’ai craint que quelque Français de sa maison, trouvant ce papier sur sa table, n’en prît connaissance. Nous devons être défians ; la propagande a trouvé moyen de corrompre tous ceux qui sont au service des princes ou des cours étrangères. »


Le second billet est daté du 4 avril, deux mois avant la fuite.


« Il serait à propos que, pour accompagner le roi de France, je prisse l’uniforme suédois. Demandez à sa majesté si elle permet que je porte en cette circonstance l’uniforme de ses dragons, que j’ai depuis longtemps ici. Je n’ai pas avec moi d’uniforme de la garde, et je n’ose en commander un dans ce moment ; mais je le ferai faire et le porterai dès que je serai sorti de la ville[1]. »


On voit suffisamment par ces lignes que Gustave III était du complot. Il semble même qu’il ait désiré que l’uniforme suédois se montrât aux provinces françaises dans une si grave circonstance. Aussi disait-on dans Paris, au lendemain même de Varennes, que c’était lui qui avait déterminé Louis XVI, et le ministre de Danemark en Suède écrivait à quelque temps de là : « M. d’Armfelt a marqué assez clairement à M. de Saint-Priest, en ce moment à Stockholm, que sa majesté suédoise a eu part au plan de l’évasion du roi de France. » C’était d’ailleurs un Suédois, le comte Axel de Fersen, que le roi et la reine avaient choisi pour veiller aux préparatifs et à l’exécution de

  1. Ces deux billets de Fersen à Taube se trouvent en suédois dans les Souvenirs du colonel Schinkel, t. II, p. 169.