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ensemble ce prétendu comité autrichien qui s’occupait fort peu, affirme La Marck, de l’Autriche et de ses intérêts, mais beaucoup des intérêts de la France. « Nous voulions arracher ce beau pays à l’anarchie et sauver un malheureux roi qui, s’il ne fut pas le plus habile, a été justement nommé le plus honnête homme de son royaume[1]. » A côté de ces conseillers, la cour avait des instrumens dévoués, tels que M. de Breteuil, ancien ambassadeur en Suède et à qui Louis XVI donna des pleins pouvoirs de ministre des affaires étrangères, fit M. de Bouillé, que ses idées politiques portaient vers une forme de constitution semblable à celle de l’Angleterre. On ne rencontrait ni de telles idées ni de tels sentimens chez les princes. Dès les premiers jours de l’émigration, ils avaient montré un esprit d’aveuglement et d’irréflexion redoutable. De Turin, ils avaient agité vainement les provinces du midi, et de Coblentz celles de l’est, sans aucun souci des dangers extrêmes que leur imprudence provoquerait. Il fallut, pendant toute l’année 1790 et les six premiers mois de 1791, les efforts constans de la reine et du roi, de M. de Breteuil et de l’empereur Léopold, pour les contenir. Ils obéissaient toutefois encore, bien qu’à grand’ peine, et le parti de la cour était par là préservé de cette entière indiscipline qui entraîna dès le lendemain de Varennes son irrémédiable division.

C’est ce qui fait que Gustave III, lorsqu’il voulut entrer en négociations directes avec le parti de la cour, loin de se livrer aux princes, comme il devait le faire plus tard, s’adressa directement à M. de Breteuil. Le 20 mai 1791, il écrivait au comte d’Artois qu’il se prêtait à son désir d’employer le chargé d’affaires de Suède auprès de la Porte pour obtenir des Turcs quelques millions ; mais il lui recommandait de mettre dans ses démarches, pour ne pas compromettre Louis XVI et Marie-Antoinette, « la plus grande prudence et la plus imperturbable discrétion. » Il mettait en post-scriptum que sa santé le forcerait à faire un voyage à Aix-la-Chapelle pendant le mois de juin ; mais il se gardait bien de dire qu’il avait écrit trois jours plus tôt au comte de Breteuil pour ouvrir une négociation, et que son voyage à Aix-la-Chapelle était concerté pour suivre de près le développement de cette grande affaire. Gustave n’avait eu qu’à reprendre avec M. de Breteuil la suite de la négociation entreprise inutilement par le baron de Taube et continuée par Fersen. Il offrait[2] de travailler de sa personne au rétablissement du roi de France avec seize mille hommes de troupes suédoises bien aguerries par la dernière campagne en Finlande,

  1. Correspondance du comte de La Marck, t. Ier, p. 226.
  2. Lettre de Gustave III au baron de Breteuil. Haga, 17 mai 1791. Communiquée par M. le comte de Manderström.