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Ainsi ajournée, la réponse qu’on souhaitait n’arriva point. Pendant ce temps, Catherine, sans se détourner un instant, s’avançait vers son but : ses armées réduisaient les Turcs épuisés, auxquels Gustave ne pensait plus, et elle faisait accepter du roi de Suède, en octobre 1791, le traité de Drottningholm, exclusivement avantageux à la Russie. La négociation relative au pavillon national n’avait servi qu’à montrer à l’avance les deux souverains du Nord dans l’attitude qu’ils devaient conserver à l’égard de la révolution : l’un, avec son ardeur inconsidérée et son incessant besoin de paraître, s’engageait tout d’abord dans les rangs les plus avancés ; l’autre, prodigue de flatteries et de conseils temporisateurs, poursuivait en silence les secrets desseins de son égoïste politique, jusqu’à ce que le temps fût venu à son gré de se déclarer avec les autres puissances contre la république française.

En attendant que la Russie se décidât, Gustave III s’était tourné vers la France et avait adressé de formelles propositions au parti de la cour. Bien qu’il offrît déjà de profonds et funestes dissentimens, ce parti n’était pas encore absolument divisé, comme il le devait être après Varennes. Louis XVI, il est vrai, — par l’apathie de son caractère, par cette résignation qu’il prenait pour du courage et où il mettait sa vertu, enfin par cette répugnance invincible pour tout travail de l’esprit et de la pensée qui lui faisait détourner tout sérieux examen de la situation dangereuse où se trouvaient plongés le royaume et lui-même, — était incapable de régner[1]. La reine, — avec des saillies de bon jugement et de vive intelligence dans sa conduite et des momens de rare courage, comme au soir du 5 octobre, quand elle disait : « Je sais qu’on vient de Paris pour demander ma tête ; mais j’ai appris de ma mère à ne pas craindre la mort, et je l’attendrai avec fermeté[2], » — n’offrait cependant pas un esprit de suite d’après lequel on pût, en des circonstances si difficiles, construire un plan solide. Elle avait du moins d’excellens conseillers dans son entourage, et elle sut les distinguer d’autres amis imprudens et dangereux. Ce n’est point Mirabeau ni le comte de La Marck, ce n’est pas même le comte de Mercy qu’on peut accuser d’être restés sourds aux concessions que réclamait la nécessité des temps. L’honnête comte de La Marck, qui servit avec l’ambassadeur d’Autriche d’intermédiaire désintéressé entre Mirabeau et la cour, atteste que Mercy avait « un esprit dégagé des préjugés étroits qui l’auraient empêché de reconnaître certaines conséquences utiles de la révolution bien dirigée. » Ils formaient

  1. Voyez la Correspondance entre le comte de La Marck et Mirabeau, publiée par M. de Bacourt, t. III, p. 248.
  2. Mémoires de Rivarol, p. 302 (cités dans la Correspondance du comte de La Marck).