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Gustave III avait d’ailleurs repris immédiatement la guerre contre la Russie, toujours de concert avec ses alliés les Turcs ; mais les grands événemens dont la France était le théâtre venaient en distraire son attention. Les premiers épisodes de la révolution française lui avaient inspiré une dédaigneuse pitié, et il avait eu certainement la pensée, quand il avait accompli son second coup d’état, de montrer au roi de France, comment il fallait s’y prendre pour se faire obéir. La crise révolutionnaire, en se prolongeant, allait lui inspirer de bien autres desseins, plus hardis encore : c’est dans cette nouvelle et folle carrière qu’il nous reste à le suivre.


II

C’est surtout aux approches des grandes crises que l’attachant intérêt des correspondances diplomatiques s’accroît et se multiplie. Elles permettent de suivre jour par jour des signes précurseurs dont le sens avait échappé jadis, et montrent, se dégageant trait par trait de la mêlée des passions humaines, l’imminente réalité. En même temps elles font comparaître les contemporains, particulièrement les hommes d’état qui les ont méditées ou écrites, et soumettent à une curieuse et suprême épreuve leurs jugemens, leur perspicacité, leur conduite. Les dépêches de M. de Staël à Gustave III pendant toute la première période de la révolution française offrent ce multiple intérêt. Sans être un éminent diplomate, M. de Staël était clairvoyant en politique. Très attentif à des événemens où sa propre famille était mêlée et d’où sa fortune pouvait dépendre, il ne manquait pas, grâce à la nombreuse clientèle de M. Necker, d’être bien informé. Il est vrai qu’il subit à certains égards l’influence de son entourage immédiat. Nul doute que Mme de Staël, non contente des bulletins de nouvelles qu’elle adressait à Gustave III, n’ait saisi plus d’une fois l’occasion d’intervenir dans la correspondance politique pour défendre auprès du roi de Suède quelque thèse qui lui était chère. Il y a telle dépêche de l’ambassadeur qui est certainement l’écho du salon de son beau-père ou celui des ardens commentaires de l’ambassadrice, Quand le baron de Staël raconte la fameuse séance royale du 23 juin 1789, ce n’est pas le discours de Louis XVI, ni l’ordre transmis par le marquis de Brézé, ni la foudroyante réponse adressée au nom du tiers qu’il note avec soin ; c’est l’absence, la démission, le rappel du ministre des finances : le héros de la journée pour lui, c’est M. Necker, ce n’est pas Mirabeau. Il en est tout à fait de même dans le chapitre des Considérations sur la révolution française qui raconte cette journée. Une fois au moins, le 16 août 1789, Mme de Staël écrit directement à Gustave III et lui expose toute la politique de son père,