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condamnation. Le roi continua vivement l’attaque par un de ces coups de théâtre qu’il aimait.

Le 17 février, à huit heures du matin, on avertit à l’improviste les députés des quatre ordres d’avoir à s’assembler dans la grande salle des états à dix heures. À peine sont-ils réunis qu’ils voient arriver en grand appareil le roi, accompagné des princes ses frères et de toute la cour. Gustave a préparé une harangue dont il commence la lecture : s’adressant directement à la noblesse, il lui reproche sa mauvaise volonté, qui répand le trouble dans le royaume ; il reconnaît, dit-il, cet ancien esprit d’anarchie qui veut rétablir la constitution de 1720, et qu’on avait cru anéanti en 1772. Lui qu’on accuse d’aspirer au despotisme, il a eu naguère en mains le pouvoir, absolu et l’a répudié, il le répudie encore ; mais, en qualité de chef du royaume, il a pour premier devoir de ne point souffrir que ceux qui ont porté leurs mains audacieuses sur la couronne de son père insultent encore à la sienne. Des paroles amères ayant été prononcées dans les séances de la chambre des nobles en date du 7 et du 9 février, Gustave impose aux représentans de cet ordre une amende honorable. « Vous allez vous rendre sur-le-champ, dit-il, vers la chambre de la noblesse pour y former une députation que conduira le premier comte du royaume. Vous, comte de Fersen[1], et vous, baron de Geer, vous vous joindrez à cette députation, et vous accompagnerez le maréchal de la diète au fauteuil, où il fera rayer des registres les délibérations factieuses. » Il y eut après ces paroles un moment de sinistre anxiété. Fersen, le visage ému, se leva pour parler. Gustave, qui craignait son ascendant, lui imposa silence. Fersen s’étant assis, le baron de Geer se leva aussi pour parler ; mais le roi le lui défendit impérieusement, et, frappant de son sceptre sur la table au milieu du bruit devenu général, il ordonna à la noblesse de sortir sur-le-champ. « L’expression dont il se servit, dit le marquis de Pons dans sa dépêche du 20 février, de laquelle nous tirons tout ce récit, rendue littéralement en français, répondait à ces mots : sortez, noblesse ! mais le mot qu’il employa était le même dont on se servait en suédois, dans le langage ordinaire, pour renvoyer les valets. » La noblesse en fut si blessée que le général Duwall, dévoué au roi, ne crut pouvoir garder le silence. S’adressant à Gustave III pendant que la noblesse se levait en tumulte, il dit qu’il réclamait au nom de son ordre le droit reconnu au dernier citoyen de se justifier. Le désordre était à son comble. On entendit le comte de Brahé dire à haute voix : « Je ne sortirai pas, » et son attitude semblait témoigner qu’il ne céderait

  1. On sait qu’il s’agit ici du comte Frédéric Axel de Fersen, père de ce comte Axel si brillant à Versailles. Voyez la Revue du 15 septembre dernier.