Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’extrême péril, qu’il eût mieux valu prévenir il est vrai, Gustave III avait trouvé en lui-même d’excellentes ressources. Un juste coup d’œil lui avait révélé dans quelle partie de la nation suédoise il rencontrerait encore l’antique dévouement au roi et à la patrie ; une heureuse activité, après l’avoir soustrait aux pièges de ses ennemis déconcertés, l’avait mis en contact avec ces populations restées fidèles ; son intrépidité s’était élevée à la hauteur de leur dévouement ; et il avait su, par ses négociations au dehors, préparer en vue des derniers hasards une issue favorable.

Gustave eut une sorte de triomphe lorsque, — les Danois expulsés et une trêve conclue, — il rentra dans sa capitale. Une réaction de l’opinion publique semblait ramener vers lui les trois ordres inférieurs, qui rejetaient avec raison sur la noblesse la honte de la conspiration d’Anjala. Il voulut profiter de cette disposition des esprits pour infliger à ses adversaires les conditions qu’il aurait dû lui-même, s’il eût été vaincu, attendre d’eux. Il convoquerait une diète, puisqu’on le demandait ; mais il espérait bien y avoir raison de l’aristocratie grâce aux ressentimens du clergé, de la bourgeoisie et des paysans, à qui il promettait de rendre justice. Il commença par multiplier les pamphlets royalistes. Dans les campagnes, on trouvait affichés aux portes des églises les versets de la Bible qui recommandent la punition des traîtres vendus à l’étranger, et dans les théâtres des villes, fréquentés par la bourgeoisie, toutes les allusions hostiles à la noblesse étaient vivement accueillies. L’effervescence était manifeste, et, pour le moment du moins, le roi pouvait espérer de la diriger à son profit.

Voilà dans quelles circonstances, fort tristes après tout, l’année 1789 s’ouvrit pour la Suède, avec un pays épuisé par les guerres civiles et étrangères, une nation divisée, une royauté humiliée ou qui ne songeait à se servir de quelques passagers triomphes que pour se venger à son tour d’une partie de ses sujets. Sans doute Gustave III n’était pas responsable de tout ce mal ; il n’avait pas su du moins le dominer, et il était destiné aussi à en devenir la victime. La diète se réunit le 2 février ; on venait d’apprendre en même temps que le roi avait fait arrêter en Finlande les officiers rebelles : c’était engager vivement les affaires. Un premier triomphe pour le roi fut une adresse votée par les trois ordres inférieurs pour le remercier d’avoir garanti la sûreté du royaume par cette même guerre contre la Russie qui lui avait suscité d’abord tant d’accusations. Il n’était donc plus question de savoir si la guerre avait été offensive de la part de Gustave III, et s’il avait dû convoquer la diète avant de commencer les hostilités ; on oubliait ces griefs : la noblesse, qui les avait soulevés, se vit obligée d’adhérer à la résolution des autres ordres et de souscrire ainsi sa propre