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moyens, » car les moyens qu’ils employaient leur paraissaient n’avoir aucun besoin de justification. Reconnaissons dans notre délicatesse à ce sujet, dans nos sévérités en matière de faux littéraire, dans nos défiances vis-à-vis des témoignages historiques, un fruit authentique de notre éducation chrétienne. C’est un des résultats de cet amour passionné de la vérité, par conséquent de la réalité, que le christianisme a communiqué à l’esprit humain. Vous ne le trouvez nulle part au même degré en dehors du monde chrétien. Il a engendré beaucoup d’intolérance, mais prenez garde aussi que c’est lui qui a fait notre science. Cet « esprit de vérité, » par conséquent de recherche courageuse, auquel nous devons souvent les angoisses du doute et les tristesses de la désillusion, est pourtant une trop belle, une trop noble acquisition pour que nous regrettions les biens apparens qu’il nous a fait perdre. Le progrès indéfini de l’humanité en connaissance et en puissance était à ce prix. Quand on comprend bien l’Évangile, on trouve qu’il a fait mieux encore que de nous procurer la connaissance de certaines vérités : nous lui devons la soif de la vérité, et il en est de la vérité comme de la justice : les bienheureux ne sont pas ceux qui croient l’avoir, mais ceux qui en ont faim et soif.

Enfin l’aperçu que nous avons donné de l’état religieux des esprits au IIIe siècle de notre ère nous montre combien de causes diverses concoururent à préparer le triomphe du christianisme sous Constantin. En fait, les idées chrétiennes étaient dans l’atmosphère que respiraient tous les penseurs, avant même que la plupart d’entre eux daignassent seulement faire l’honneur au christianisme de l’étudier sérieusement. Quelle lumière ces essais de réforme païenne du IIIe siècle ne jettent-ils pas sur la grande tentative de Julien au siècle suivant ! Notons bien que le césar romantique n’a pas fait autre chose que reprendre pour son compte, avec un grain de rancune de plus contre le christianisme, le plan de Julia Domna, de Philostrate et des Alexandrins, c’est-à-dire qu’il a tâché d’infuser de la sève chrétienne dans les veines ossifiées du vieux corps qu’il voulait rajeunir, et c’est encore le soleil, le vénérable Hélios, qu’il proposa tout à la fois comme symbole et comme réalité aux hommages de l’univers civilisé.

Il faut donc que cette manière de concevoir la réforme du paganisme fût dictée par une nécessité évidente ; mais quelle succession d’échecs et d’avortemens ! quelle faiblesse dans les résultats, si on les compare à la grandeur de l’entreprise ! Et que serait donc devenu notre monde occidental, si le christianisme ne l’avait pas baptisé d’esprit nouveau, ne l’avait pas animé de vie nouvelle ? Il est certainement permis de se poser la question, et bien que l’invasion des