Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/658

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voient, sans presque s’en douter, forcés de lui faire la plus grave des concessions, c’est-à-dire de chercher comment ils pourront la faire rentrer dans les cadres traditionnels qu’ils s’obstinent à vouloir conserver. Le christianisme était donc déjà tellement fort en vertu de sa supériorité morale, que les défenseurs les plus intelligens du vieux paganisme sentaient l’impérieuse nécessité de moraliser, en d’autres termes de christianiser leur religion pour la mettre en état de résister à son jeune rival. Et quelle tâche ingrate ! Que pouvaient faire les beaux sermons de morale païenne à côté des orgies bachiques et des cultes de Cybèle, en face des sourires de Vénus Pandémos et des formes indescriptibles des Hermès de carrefour ? Ce mélange de rigidité morale et de religion dévergondée devait produire sur l’esprit des contemporains un effet analogue à celui qu’ont obtenu auprès de notre génération les tours de force qui, il y a quelques années, transformaient la théocratie restaurée du moyen âge en gardienne de la civilisation et du progrès social et l’inquisition ressuscitée en palladium des libertés modernes. Une cause religieuse, quelque puissante qu’elle soit en apparence, est bien malade quand, pour se soutenir, elle est obligée d’emprunter le langage, de copier les allures de la cause opposée.

On peut voir en même temps combien la critique moderne est dans son droit lorsqu’elle affirme qu’en général dans l’antiquité, — particulièrement dans les trois premiers siècles, — le sens de la réalité historique, celui aussi, qui du reste en dépend, de l’authenticité littéraire, étaient encore très peu formés. On a guerroyé contre elle quand elle a fait à plusieurs livres canoniques l’application de ce principe. Il faut pourtant se rendre à l’évidence. Tous en ce temps-là, païens, philosophes, chrétiens orthodoxes, chrétiens hérétiques, tous pratiquent en grand et sans scrupule le procédé qui s’appellera plus tard fraude pieuse, mais qui se cache trop peu à l’époque dont nous parlons pour qu’on ait le courage de lui décerner une dénomination aussi malveillante. Quand Philostrate dessinait un portrait presque entièrement de fantaisie de celui dont il voulait faire l’homme idéal de la religion traditionnelle, quand Porphyre et Jamblique construisaient de toutes pièces un Pythagore légendaire, étaient-ils des imposteurs, des hommes animés d’intentions criminelles ou inavouables ? Il suffit de lire leurs écrits pour s’assurer du contraire. En définitive, et toute part faite à la critique, ces hommes ne pouvaient se proposer d’autre but que celui qu’ils avouaient tout haut, celui de travailler à la réforme religieuse et morale de leurs contemporains. Quant à leur manière d’y travailler, ils n’eussent pas même songé à invoquer le bénéfice du principe formulé plus tard, que « la fin justifie les