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de reconnaissance rendus à la Divinité, source de tout bien, plutôt que des moyens grossiers d’agir sur sa volonté pour la rendre favorable à des vues égoïstes ou basses. L’intention droite, la disposition morale, détermineront seules la valeur réelle des actes religieux. Tout cela vie christianisme le possédait déjà, mais le paganisme réformé l’aura aussi, et de plus il aura des avantages que le christianisme n’a pas. En définitive, Jésus n’est que l’enfant d’un peuple obscur et méprisable ; sa doctrine n’est que l’épuration d’une tradition locale et mesquine ; sa vie, inconnue de l’immense majorité de ses contemporains, a été très courte. Bientôt il a succombé sous les coups de quelques prêtres, d’un principicule et d’un simple procurateur[1], et c’est tout au plus si quelques prodiges remarquables la distinguent à son avantage d’une foule d’existences indifférentes aux destinées de l’humanité. Apollonius au contraire, Grec de naissance, a réuni dans sa vaste intelligence, des Indes à l’Espagne, la substance religieuse du monde entier ; il a vécu tout un siècle, il a parcouru l’univers comme une traînée lumineuse, en relations continues avec les rois les plus puissans de la terre qui le vénèrent ou le redoutent, et s’il a rencontré des inimitiés, des oppositions, il en a triomphé majestueusement, toujours plus fort que les tyrans, jamais humilié, jamais souillé par le contact des bourreaux ; les miracles les plus prodigieux ont marqué chacun de ses pas, et s’il ne faut pas contester la part de grandeur que le Christ juif a eue en partage, ni la part de vérité qu’il a enseignée, si l’on peut, par conséquent, tolérer ceux que les abus existans au sein du paganisme populaire ont poussés dans les cadres de sa pauvre petite église, il serait absurde de saluer en lui le fondateur de la religion universelle, et il ne peut compter que comme un pendant très lointain du glorieux et divin Apollonius. Tel est le point de vue auquel se plaça Julia Domna quand elle invita Philostrate à écrire la vie d’Apollonius. Il se pourrait bien que Philostrate fut encore moins frappé que sa maîtresse de la grandeur et de la vérité du christianisme ; mais il resta généralement fidèle à l’idée qu’elle s’était faite de la vérité religieuse et qui se retrouve chez Mœsa et chez Soémis, avec plus de complaisance, surtout chez la dernière, pour les superstitions païennes, et chez Julia Mammæa, qui, au contraire, incline vers une appréciation plus élevée du christianisme. Il y a dans l’histoire de Septime Sévère et de Caracalla deux faits isolés, peu significatifs en

  1. Pourquoi, dira-t-on, Philostrate n’a-t-il pas fait mourir son héros comme le Christ dans les tourmens ? La répugnance du Grec pour un Christ crucifié suffirait comme explication. Il ne faut pas oublier de plus que, selon la doctrine du livre, la mort d’un sage n’est autre chose que sa disparition.