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III

Avant de,parcourir ce champ longtemps inexploré, citons nos guides, ou plutôt les géographes qui nous en ont tracé la carte, car nous ne prétendons savoir que ce qu’ils nous ont appris, et l’opinion que nous pouvons nous former de Mahomet, nous la leur devons.

L’Europe s’est de bonne heure occupée de Mahomet, et le bruit de ses créations et de ses conquêtes a dès le VIIe siècle troublé l’Occident. Cependant il est de sa personne resté longtemps inconnu. Les chrétiens avaient appris en Espagne et dans les croisades à honorer, à respecter plus d’un représentant de la foi musulmane, avant qu’on eût songé à rendre la moindre justice à celui qui l’avait fondée. Le caractère chevaleresque des guerriers arabes n’avait pas été sans influence sur la chevalerie chrétienne, mais il ne profitait nullement à la réputation de celui dont la parole avait épuré et adouci leurs âmes. Mahomet n’est resté, jusqu’à la fin du moyen âge qu’un imposteur maudit, un des tribus impostoribus suscités par le démon. Dante le vit fendu en deux dans l’enfer. Satan, en l’inspirant pendant sa vie, n’avait pas même pris la peine de lui donner l’erreur pour mobile et pour excuse. Le crime du mensonge avait couronné tous ses autres crimes. Par des motifs opposés, l’esprit philosophique, lorsqu’il commença de s’appliquer à l’histoire, le jugea à peu près comme l’avait fait l’esprit religieux. Bayle parle avec grande pitié des gens qui s’imaginent que Mahomet a pu croire ce qu’il disait, et Voltaire ne voit en lui que Tartufe avec des armes à la main. Il est vrai qu’il parlait ainsi du Mahomet de sa tragédie, œuvre des moins philosophiques, quoique le pape Benoît XIV l’ait trouvée bellissima ; mais l’auteur de l’Essai sur les Mœurs juge un peu différemment, et ses deux chapitres sur Mahomet ne sont pas des moins bons de l’ouvrage. Là, il lui reconnaît cet enthousiasme de bonne foi si nécessaire à qui se dévoue à conduire les hommes. Aujourd’hui on ne se croirait pas capable d’écrire ou de comprendre une ligne de l’histoire, si l’on ne voyait dans Mahomet un homme supérieur qui, s’il a employé la feinte, ne l’a fait qu’au profit de ce qu’il a cru la vérité. En même temps les progrès de la curiosité et de la critique, ceux de l’étude des langues orientales, ont mis à notre portée les nombreux et précieux documens que les biographes et les annalistes musulmans ont laissés sur la personne et la vie de leur prophète. Quelques-uns de ces auteurs, qui ont écrit dans le IIe siècle de l’hégire, avaient recueilli la tradition orale de la bouche de témoins qui la tenaient des meilleures sources. Ils