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veut ruiner n’est-il pas une des formes ordinaires de la controverse antique ? L’épître de Jacques ne dit pas un mot de Paul ni de son école : en cherchait-elle moins à réfuter la doctrine de la justification par la foi ? Un autre ouvrage théologique, revêtant aussi les allures du roman, les Homélies clémentines, est bien certainement inspiré par le désir de combattre Paul et Marcion : pas une seule fois pourtant l’un ou l’autre de ces deux noms n’est prononcé.

Ce qui est très vrai sans aucun doute, c’est que le XVIIe et le XVIIIe siècle se sont trompés également sur le caractère foncièrement hostile au christianisme qu’ils ont attribué à l’œuvre de Philostrate. Cette œuvre n’est ni indifférente ni hostile au christianisme ; elle en serait plutôt jalouse. Elle est inspirée par le désir de détourner au profit d’un paganisme régénéré les avantages, les supériorités que le christianisme possède sur le paganisme vulgaire, et si l’on isole le mot de l’évêque d’Avranches : ne quid ethnici christianis invidere possent (les gentils ne doivent rien avoir à envier aux chrétiens), des appréciations violentes qui l’entourent dans le fragment que nous avons reproduit, ce mot demeure l’expression de l’exacte vérité. C’est un des nombreux titres du savant professeur Baur de Tubingue d’avoir ainsi marqué la vraie nuance de ce livre aux reflets ondoyans et multiples. Il faut qu’Apollonius ressemble au Christ, mais il faut aussi qu’il en diffère et qu’il lui soit supérieur : voilà la seule explication qui rende compte de tous les phénomènes qu’il s’agit d’expliquer, et sa vraisemblance, déjà si grande, équivaut à la certitude quand nous nous replaçons dans l’atmosphère politique et religieuse au sein de laquelle Philostrate a écrit son livre.

Julia Domna, on le sait, fut l’Egérie de cette réforme païenne poursuivie avec plus ou moins d’habileté, mais avec la persévérance que les femmes peuvent vouer à ce genre d’entreprises, par les impératrices, ses parentes, qui lui succédèrent dans la direction suprême des affaires de l’empire. Il paraît donc que cette famille sacerdotale, sortie du temple d’El-Gebal (le dieu de la montagne ou du haut lieu), animée d’un esprit de domination religieuse que le paganisme occidental ne connaissait guère, espéra tout à la fois régénérer le paganisme et fonder la suprématie de son dieu oriental, qui n’était autre que le soleil, et dont Héliogabale fit transporter à Rome le grossier simulacre. C’était une de ces pierres noires, peut-être un aérolithe, qui furent de tout temps adorées en Orient comme symboles des astres d’où on les croyait tombées. La liste serait longue des excentricités que ce jeune empereur commit avec tout le sérieux dont il était capable dans l’espoir de consolider la souveraineté de son dieu-soleil. Son premier acte d’autorité fut d’ordonner à tout prêtre sacrifiant de mentionner son nom avant