Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préface ironique signée Philalèthe, et dont l’auteur ne serait autre que le roi Frédéric II. Il y eut par conséquent, en Allemagne surtout, des réfutations de ces modernes Hiéroclès. Des deux parts on s’accorda dans l’idée que le livre de Philostrate était essentiellement une machine de guerre dirigée contre le christianisme.

On devait revenir de cette idée exagérée, et ce retour s’est accompli de nos jours dans les écrits de MM. Buhle, Jacobs, Neander. Il est vrai qu’on est alors tombé dans un autre excès. On a voulu nier en effet tout rapport intentionnel de la Vie d’Apollonius avec le christianisme et les documens évangéliques. On a relevé le fait très réel que l’ouvrage se tait de la manière la plus absolue sur Jésus et ses disciples, qu’il ignore l’existence de l’église chrétienne, que pourtant il combat toute sorte d’erreurs religieuses et morales, et l’on veut que les ressemblances qu’il est possible de signaler entre la carrière du Christ et celle du réformateur païen soient fortuites ou forcées. Est-il possible d’accorder ce dernier point ? Et d’autres preuves n’établissent-elles pas que la vie d’Apollonius est taillée en grand sur un patron analogue à celui de l’histoire évangélique ? Apollonius naît mystérieusement à la même époque à peu près que le Christ. Il a comme lui une période de préparation où il fait preuve d’une précocité religieuse étonnante, puis un temps d’activité publique et directe, enfin une passion, une espèce de résurrection et une ascension. Les messagers d’Apollon chantent à sa naissance comme les anges ont chanté à celle de Jésus. Il est en butte à des inimitiés ardentes, quoiqu’il ne fasse que du bien. Il parcourt le champ assigné à son œuvre réformatrice suivi de ses disciples de prédilection, dans les rangs desquels la désaffection, le découragement et même la trahison s’introduisent. Lorsque l’heure du danger est proche, malgré les avis prudens de ses amis, il marche droit sur Rome, où Domitien cherche à le faire périr, comme jadis Jésus marcha vers Jérusalem et vers une mort qu’il savait certaine. Auparavant, il avait été en butte aux soupçons meurtriers de Néron, comme Jésus à ceux d’Hérode Antipas. Aussi bien que Jésus, il est accusé d’opérer par des moyens magiques, illicites, les prodiges bienfaisans qu’il ne peut accomplir que parce qu’il est l’ami des dieux et digne de l’être. Comme Jésus sur le chemin de Damas, il confond un ennemi déclaré par une apparition victorieuse plusieurs années après son ascension. Ce qui en particulier est fort remarquable dans un livre grec et pénétré d’esprit grec, c’est le grand nombre des expulsions de démons qu’Apollonius opère par sa parole. Il leur parle, comme il est dit du Christ, avec autorité. Le jeune possédé d’Athènes par l’organe duquel le démon pousse des cris de peur et de rage, ne pouvant supporter le regard d’Apollonius, rappelle à tout lecteur attentif des récits évangéliques le