Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour nous, surtout chez un réformateur religieux, n’étaient pas sentis dans ce temps et dans ce monde ; mais ceci ne nous regarde pas. Ce qui est maintenant à faire, c’est d’esquisser les destinées de cette œuvre du favori de Julia Domna et d’en déterminer le vrai caractère.


III

Rappelons d’abord qu’avant Philostrate il est fort peu question d’Apollonius, tandis que de son temps et après lui le sage de Tyane compte de nombreux et fervens admirateurs. Caracalla lui fait élever un temple ; Alexandre Sévère le place à côté du Christ, d’Abraham et d’Orphée, parmi ses dieux lares. A Éphèse, on l’adore sous le vocable d’Hercule Alexicacos ou tutélaire. L’empereur Aurélien épargne la ville de Tyane, qu’il avait juré de détruire, en considération d’Apollonius, qui lui apparaît la veille du jour fixé pour le massacre des habitans. Les historiens Dion Cassius, contemporain de Philostrate, Vopiscus, un des écrivains de l’Histoire Auguste, sont imbus de la même vénération. La renommée du saint personnage s’accrédite si bien, que Sidoine Apollinaire et Cassiodore, bien que chrétiens, font de lui un grand éloge. Le premier même, plus rhéteur peut-être qu’évêque, traduira sa biographie en latin. On peut s’étonner que l’école philosophique d’Alexandrie, représentée par Porphyre et Jamblique, ne paraisse pas en faire plus de cas ; mais elle a peut-être ses raisons. En revanche, l’un des derniers et des plus brillans défenseurs du paganisme mourant, Hiéroclès, dans son Discours philalèthe, se servira avec empressement de la personne d’Apollonius pour l’opposer au Christ des évangiles. Il paraît même que ce ne sera pas sans succès, car son adversaire, Eusèbe de Césarée, déclare que ce côté des attaques de Hiéroclès exige une réponse spéciale, tout le reste n’étant, dit-il, qu’une répétition des vieilles objections dirigées contre le christianisme dès les premiers jours. Lactance aussi se croit obligé de combattre le parallèle tiré par Hiéroclès, et il le fait avec une vivacité qui dénote l’importance qu’on attachait à cet élément des controverses contemporaines. Arnobe et les pères du IVe siècle sont d’accord pour expliquer les miracles d’Apollonius par la magie, ce qui suppose qu’on ne cessait pas de les leur opposer. Jusqu’au Ve siècle, nous voyons un proconsul d’Afrique, Volusien, descendant d’une ancienne famille romaine et encore très attaché à la religion de ses ancêtres, vénérer Apollonius de Tyane comme un être surnaturel. Tout concourt donc à prouver que l’œuvre de Philostrate, bien loin d’être lue comme un simple roman, marqua dans les discussions religieuses du IIIe et du IVe siècle tout autrement que ne