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philosophie, son art divinatoire, son genre de vie. Il répond à tout si pertinemment que l’empereur se demande s’il ne l’absoudra pas, lorsque tout à coup il disparaît aux yeux de l’assistance. On a beau le chercher, courir après lui ; nul ne l’a vu, nul ne peut le voir, car c’est une disparition surnaturelle.

Le soir même du jour de ce miracle, ses amis, Démétrius et Damis, conversaient ensemble à Puteolis, localité distante de Rome d’environ cinquante lieues. Ils désespéraient de revoir jamais celui dont ils attendaient le salut de l’empire, quand un bruit mystérieux se fit entendre : Apollonius était devant eux. Ils eurent besoin de lui saisir la main pour s’assurer que ce n’était pas un spectre qu’ils voyaient. Désormais les heures de la passion sont finies, les gloires du triomphe recommencent. De retour en Grèce, Apollonius voit toutes les populations à ses pieds. Il veut pourtant avoir aussi sa descente aux enfers, c’est-à-dire qu’il désire se procurer la seule initiation qui lui manque encore, celle qu’on allait chercher dans l’antre de Trophonius. Il y pénétra malgré les prêtres, encouragé par Trophonius lui-même, avec lequel il conversa pendant sept jours pleins. Entré dans le monde souterrain à Lébadée en Arcadie, il en ressortit en Aulide. Il avait demandé au dieu des lieux sombres quelle était la reine des philosophies : comme les sages des régions éthérées, celui-ci lui avait répondu que c’était celle de Pythagore.

La carrière d’Apollonius se termina en Asie-Mineure. A Éphèse, sa faculté de seconde vue lui permit d’assister, comme s’il eût été présent, à l’assassinat de Domitien, et il le décrivit avec toutes ses circonstances aux Éphésiens, qui n’en pouvaient croire leurs oreilles, mais qui durent se rendre lorsque la nouvelle de l’événement leur parvint par la voie ordinaire. Apollonius avait alors quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans, et même, selon quelques-uns, plus d’un siècle. Plusieurs traditions circulent sur sa mort, dont le fidèle Damis ne fut pas témoin, car son maître l’avait chargé d’une mission auprès de Nerva, et c’est pendant son absence qu’il disparut aux regards des mortels. La légende la plus répandue raconte que, s’étant rendu en Crète, il entra dans le temple de Diane Dictynne et n’en sortit plus. On entendit comme des voix de jeunes filles qui chantaient dans les airs : « Quitte la terre ! monte au ciel ! » On ajoute que, quelques années plus tard, il terrassa, par une apparition imprévue, un jeune incrédule qui tournait sa doctrine en dérision. Après sa mort, la ville de Tyane lui rendit les honneurs divins, et la vénération de tout le monde païen témoigna de l’ineffaçable impression laissée dans les esprits par le passage de cet être surnaturel qui faisait dire à ses contemporains : « Un dieu habite parmi nous. »