Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été orfèvre. Cela explique l’habileté particulière avec laquelle tout ce qui se rattache à la décoration proprement dite est traité dans ces deux célèbres portes, dignes, suivant le mot tant de fois cité de Michel-Ange, « d’orner l’entrée du paradis. » Ghiberti d’ailleurs était aussi un peintre, et le souvenir des habitudes qu’il avait contractées à ce titre intervenait assez obstinément pour compliquer ses efforts de certaines recherches inutiles ou de prétentions dangereuses. Proportions relatives des corps à mesure que ceux-ci s’éloignent ou se rapprochent des premiers plans, phénomènes de la perspective dans la représentation d’un monument ou d’un paysage, inégalités du relief en raison de l’atmosphère qui enveloppe plus ou moins les objets, tout ce que son pinceau reproduisait ailleurs à bon droit, il voulait ici le simuler avec l’ébauchoir. Les vingt compartimens de la première porte dans lesquels Ghiberti a représenté les faits principaux de la vie du Sauveur, et notamment ceux qui contiennent, sur la seconde porte, des scènes tirées de l’Ancien Testament, offrent au regard non des bas-reliefs, c’est-à-dire, comme le mot l’indique, un ensemble d’objets à peine détachés du fond et n’ayant qu’une saillie modérée et égale, mais de véritables tableaux en bronze, où certaines parties absolument saillantes forment un contraste d’autant plus tranché avec le demi-relief de certaines autres et la profondeur feinte des derniers plans. Que deviennent alors l’harmonie de l’aspect, les convenances prescrites par la symétrie architectonique, par le goût, par le simple bon sens, qui ne saurait admettre qu’en prétendant figurer un fond de ciel ou de paysage on perce impunément une surface destinée après tout à servir de clôture, ou qu’à force d’en tirer à soi les renflemens divers, à force d’en agiter les formes, on lui donne l’irrégularité extérieure d’un bloc de minerai ou l’apparence effarée d’une fourmilière ?

Ghiberti, dit-on, à l’époque où la mort le surprit, méditait Une troisième porte en remplacement de celle qu’André de Pise avait exécutée dans le siècle précédent, et Vasari ajoute qu’il en avait déjà dessiné le modèle. Rien de plus vraisemblable que ce projet. L’œuvre d’André, moins belle à quelques égards, moins riche surtout, mais assurément plus sage, faisait trop bien ressortir les côtés excessifs des deux œuvres de Ghiberti, et l’on comprend que pour achever de donner raison à sa manière, celui-ci ait voulu se débarrasser d’un voisinage qui semblait impliquer en permanence une protestation ou un reproche ; mais c’est trop insister sur la partie erronée des doctrines et des intentions qu’accusent les portes du Baptistère. La science consommée du dessin qui se manifeste jusque dans les moindres détails, une connaissance de la structure anatomique qu’aucun des travaux antérieurs ne révèle avec cette